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JRCF

Revenir à une culture populaire

Revenir à une culture populaire

 

Il y a environ 4 ans, javais rédigé un article au titre « Retrouver une culture populaire » (1) où jexprimais alors mes pensées concernant la façon de renouer avec une culture populaire progressiste et anticapitaliste, notamment en posant le constat de limplantation de lidéologie capitaliste dans le cerveau des jeunes via le phénomène de l’américanisation. À l’époque, malgré moi, mon identification de la culture populaire ressemblait peu ou prou à la définition de la « pop culture ». Cependant, après de nouvelles réflexions sur cette question, après avoir lu divers auteurs, la série darticle sur les classiques et lavant-garde du camarade Blu publiée sur le blog des JRCF (2), je me suis rendu compte des lacunes de mon article précédent. Je corrige donc ici ce qui m’apparaît aujourd’hui comme étant des erreurs. Bien entendu, le texte qui va suivre n’est qu’un texte de réflexion n’engageant que l’auteur de ces lignes et n’a pour but que d’amener à réfléchir dans le cadre d’un débat plus large.

Première remarque : je conserve toutes les critiques sur la trop grande prééminence de langlais et de laméricanisation de notre culture, donc son homogénéisation.

Seconde remarque : comme vous pourrez le constater, je parle de culture au sens large. En aucun cas il nest question d’esthétique. Cette notion regroupe la vision artistique de son auteur et la façon dont il rend l’objet attrayant. Il sera encore moins question dune esthétique davant-garde car, si une organisation peut avoir une esthétique particulière, il nappartient pas à une organisation politique de favoriser un courant artistique sur un autre.

 

La Culture de masse nest pas une culture populaire

 

Parlons de la notion dart ou de culture de masse. Mon analyse dune culture populaire reposait essentiellement sur lidée que pour créer une nouvelle culture populaire, il fallait diffuser certaines œuvres progressistes faisant référence au mouvement ouvrier afin quelles deviennent une référence entre les gens, bien plus que la dernière série Netflix, le dernier Marvel ou une émission de Cyril Hanouna. Ce travail de diffusion des œuvres progressistes est quelque chose dimportant, mais cela ne saurait regrouper en totalité ce quon appelle une culture populaire. Mon analyse de l’époque était directement inspirée de ce quon appelle (à tort) la « pop culture » : en définitive, des œuvres ou des personnages devenus tellement célèbres quils parlent au commun des mortels ayant accès à une salle de cinéma, internet ou un journal, puis qui sont destinés à être détournés ou réutilisés, par des fans (3) ou par des vendeurs en manque de moyen pour écouler leur marchandise. Cette « pop culture » est favorisée par la mondialisation, les médias et les réseaux sociaux, permettant dexporter à travers le globe et de produire certaines œuvres ou produits ludiques avec un haut rendement, facilement accessibles et commercialisables dans les pays riches.

Cette culture dont nous parlons na de populaire que le nom (je développe plus loin ce que signifie une véritable culture populaire). Cest ce que lauteur des Idées esthétiques de Marx (4), le philosophe Adolfo Sanchez Vazquez, appelle à juste titre un art de masse. Créé dans le but de faire du profit, ce type dart nécessite beaucoup de capitaux pour sa production et sa diffusion : il est quasi-exclusivement tourné vers certains secteurs artistiques qui nécessitent énormément de capitaux pour la conception de chacune des œuvres, cest-à-dire le cinéma, les ries télés ou les jeux vidéo. Amusez-vous à comparer les grandes figures de la « pop culture » et le type dart dont il est issu, et vous constaterez assez rapidement quil sagit très peu de poésie ou de peinture ! Vazquez dénonce aussi le but derrière ces productions : satisfaire un spectateur déshumanisé qui sort dune journée dexploitation difficile et qui a besoin (et désire) un produit consommable bas de gamme, facilement appréciable et aussitôt jetable. Même si cela peut sembler une hérésie de dénommer « produit » un objet artistique, et même sil peut rester à des degrés divers une touche artistique dans la machine Hollywoodienne ou de la production musicale, nous ne sommes pas loin de cette définition avec lart de masse. Le produit est créé pour satisfaire l’individu dune société déshumanisée - souvent dans les gros studios par des gens en lien social et amical avec les mêmes personnes qui créent ce monde (on pense à Luc Besson en France) - puis le pousser à revenir vers ce type de production en captant son attention. Tout cela pour dire que largument du type « le peuple demande » en ce qui concerne la plupart des œuvres quon nous sert que ce soit en matière musicale ou cinématographique, est tout simplement fausse, car cest au sein même de la production que se pose la question de la façon de faire revenir le consommateur.

Capter son attention. Auparavant, cet objectif était atteint avec des femmes belles et des hommes beaux, de la violence, de la pornographie, des couleurs et un rythme effréné. Maintenant sajoute laccumulation sans précédent de marchandises toutes formatées sur le me modèle (5). Si lon prend le cas de Marvel en BD, la stratégie depuis pas mal dannées consiste à faire des histoires à rallonge avec les mêmes personnages depuis les années 60, voire 30, en leur faisant vivre diverses épreuves, qui avec lexplosion de la morosité aux USA, ainsi que la fin de la censure, ont tendance à se faire de plus en plus violentes et sexuellement explicites, couplées à chaque fin de récit à une nouvelle révélation invitant lacheteur à attendre le numéro suivant. Sans parler de lhabitude des « crossovers » entre différentes séries de comics, qui, étant donné quelles se lient entre elles, incite encore une fois lacheteur à payer les autres séries afin de comprendre lhistoire. Ce que par ailleurs les films Marvel font désormais avec les ries télés issues de lunivers et qui deviennent nécessaire à la compréhension de certains long-trages (6).

Une autre stratégie consiste à provoquer lidentification avec un personnage, afin de faire plaisir au spectateur qui oublie un temps ses soucis, mais surtout qui a l'avantage d’être un stratagème extrêmement lucratif ! Qui de nos jours na pas vu les statues, les « funkopop » ou un attirail du même genre dun personnage extrêmement connu acheté par un fan du personnage ? Outre que cette identification tend à dépolitiser, même des personnages aux comportements immoraux (7), il faut comprendre que certaines productions sont tournées de manière quasi-certaine vers la vente des produits dérivés. Lexemple parfait cest Disney, qui a depuis bien longtemps abandonné toute ambition artistique pour simplement voir chacune de ses nouvelles sorties comme un excellent moyen de vendre à des enfants et à des jeunes adultes biberonnés à Disney leur dernier jouet du film fraîchement sorti. Et ne croyez pas que ce genre de modèle ne se répercute pas aux créateurs agissant de manière indépendante des studios. Il y a peu de temps, jai découvert lunivers dHazbin hotel, une série danimation venant de YouTube. En fouillant, on trouve toute une communauté de fans qui réalise des « fanfictions » sur les personnages, des mèmes, des musiques. Et la créatrice de ce contenu, Vivienne Medrano, de faire fructifier cette base en vendant des objets en rapport avec les différents personnages de la rie. Le problème : à ce jour cette série ne possède quun pilote, sorti en 2019 (8)… Ce qui signifie quil est impossible pour les « fans » de la série den être accro non pas à cause des qualités esthétiques de la série, celle-ci ne connaissant pas de développement à ce jour, mais parce que sa créatrice en a sur-vendu la personnalité des personnages afin dattirer les gens vers sa chaîne. La façon même dont a pu se constituer cette base de fan, 1) rend plus simple la vente de nimporte quel produit dérivé, 2) est un super-exemple de la relégation des qualités intrinsèques de l’œuvre pour un produit hyperstéréotypé afin de faire plaisir à un public.

Le problème dans tout cela, cest le fait de garder passif ledit consommateur. Passif devant le produit, passif devant la vie. Eventuellement, si dans son quotidien il est politisé ou simplement indigné par l’état du monde, il pourra protester contre lexploitation de sa force de travail mais ira spontanément et sans arrière-pensée vers ces produits bas de gamme, oubliant un temps sa condition dhomme aliéné. Ce côté passif est renforcé par le développement des plateformes qui transforment différents contenus en buffet à volonté. On pourrait parler de Netflix, mais la même chose arrive avec Tik Tok, qui provoque un double piège, celui de la grande disponibilité des vidéos et de la courte durée. Tout est fait pour avoir des courtes vidéos à linfini, ce qui, paradoxalement, nous fait rester longtemps dans une journée devant ce réseau, où notre attention est captée par des vidéos avec des contenus similaires. De même linvention terrible du scroll infini sur Facebook et Twitter qui nous fait rester des heures sur les plateformes (9).

Loin de nous lidée de jeter la pierre à lhomme aliéné passif davoir ce genre de pratique, car tout est fait pour quil soit attiré par ça. En plus dune journée fatigante de travail, linjonction à aller toujours plus vite et à être toujours plus performant nous pousse à aller vers un contenu rapide qui nous installe en voyeur sans trop nous obliger à réfléchir. Cest lorganisation économique de la société qui le pousse à adopter cette pratique.

 

La Culture populaire est une pratique

Tout ceci ne nous dit pas ce quon entend par culture populaire, et encore moins comment lutter pour vraiment permettre de la faire renaître. Si lon parle du sens des mots, on parlerait dune pratique culturelle venant du peuple. Et par culture, même si jusquici nous navons parlé que dart, nous signifions aussi toutes nos habitudes et pratiques. Le sport est une culture, la pratique syndicale et politique en constituent une autre. Plus largement, on pourrait désigner la culture populaire comme des pratiques venant de la base et en-dehors du domaine primairement marchand ou des institutions, partagées par une ou des communautés. Les œuvres qui viennent représenter et porter les revendications du peuple, parler de ses désirs et sans volonté originelle de voir en lui un acheteur, selon la définition de lauteur des Idées esthétiques de Marx, se rattachent à lart populaire, et donc à une certaine forme de culture populaire.

Culture populaire et culture de masse peuvent dans certains cas sentrecroiser car la culture de masse peut permettre la diffusion de la culture populaire à une grande échelle. Dautre part, certaines pratiques de la culture populaire peuvent avoir pour origine la culture de masse (dans le sens où il y avait au moment originel un objectif purement mercantile) et inversement. Elle porte alors en elle une pratique contradictoire qui bien souvent amène à la fin à sa reprise en main totale par la culture de masse. Par exemple, le foot se pratiquait dabord au niveau local avec les gens du cru, qui venaient de la même classe sociale, pouvaient être impliqués politiquement, avec la défense de certaines valeurs avant laccaparement de ce sport par les groupes ultra-capitalistes (10). 

Sur le fait de porter une aspiration populaire, celle-ci peut être aussi dune certaine façon confuse mais rarement réactionnaire, dans le sens où le problème est posé mais la résolution inconnue. De même des œuvres réalisées par le peuple peuvent porter un message particulièrement opportuniste. Dans tous les cas, cela mérite d’être étudié, car elles viennent du peuple, mais elles ne doivent pas faire lobjet dune idéalisation car venant du peuple ou des prolétaires.

En définitive, la culture populaire ne peut ni se résumer à des œuvres à caractère progressiste, ni à des références que tout le monde comprend du fait de limpérialisme américain. Elle vient de la base, en-dehors dune logique marchande, et est partagée par un grand nombre de gens du peuple, que ce soit des orientations artistiques, des idées, des pratiques syndicales et politiques, des pratiques sportives (11). Cela ne signifie pas bien entendu que dans leur essence ces pratiques sont bonnes. Les jeunes prolos des Cités amateurs de rodéo mettent leur vie et celle des autres en danger et gênent les autres habitants de leur quartier, cest donc une pratique que nous ne saurions soutenir par une espèce didéalisation du peuple (12). Même chose pour la fréquentation des bars par les classes populaires, qui est certes un lieu où lon peut se retrouver pour discuter, mais qui entretient lalcoolisme.

La culture populaire, cest un ensemble de pratiques à adopter, que ce soit dans des réunions politiques, les actions syndicales, les sports que nous pratiquons, mais aussi les activités culturelles ou pédagogiques, avec les chorales révolutionnaires, les visites organisées au cinéma avec réunion pour savoir ce que chacun en a pensé, les lectures collectives douvrage (13)… En fait, cela suppose comme préalable la sortie de la passivité culturelle pour que chacun soit acteur à une plus ou moins grande échelle.

La passivité, cest là où se trouve le point central qui différencie ce dont nous parlons et ce quon nomme à tort « pop culture ». Le but de la culture de masse, cest de provoquer un petit plaisir au spectateur ciblé afin de le faire revenir en lui procurant une autre marchandise du même type pendant l’éternité. Ses tenants peuvent sinquiéter voire sinsurger du méfait de lattention captée naguère par la télé, aujourdhui par les réseaux sociaux, il nempêche que cest le fondement même de toutes cette économie et quils ne peuvent remettre en cause trop radicalement les conséquences, au risque de voir le système par lequel ils vivent s’écrouler. Et de fait, on nira pas plus loin que la leçon de morale. Tandis quun art vraiment populaire vient de lactivité du peuple et de ses idées les plus profondes. Laction à la place de la consommation passive devant un smartphone. Le dramaturge allemand Bertolt Brecht théorisait pour ses pièces la distanciation. Ainsi, le spectateur brechtien devait être positionné de telle sorte quil ne pouvait à aucun moment sidentifier avec les personnages (de par la mise en scène, le jeu outré des acteurs, la musique, les intertitres), pour mieux chercher à les comprendre, eux et le monde dans lequel ils vivent. Pour Brecht, qui était communiste, l’objectif était de faire comprendre la nécessité de changer le monde afin que le spectateur reprenne en main sa destinée.

Comme le disait Stéphane Sirot dans lune de ses dernières conférences (14), le syndicalisme CGT était autrefois une contre-culture, tout comme l’était, au niveau politique, le PCF. Elle se retrouvait dans les sections, les cellules, les événements organisés comme la Fête de lHumanité, la presse… C’est ce qui a été perdu dans les années 90 et que chacun tente de reconstruire modestement.

Bien sûr lart populaire présuppose que le peuple a bien emmagasiné les connaissances nécessaires à lanalyse dune œuvre. Il ne sagit pas de créer une contre-culture à partir de rien. Nous approuvons totalement Lénine et les autres bolchéviques dans leur critique du Proletkult (15) : le mouvement prolétarien doit récupérer la culture bourgeoise en lui retirant tous ses éléments les plus aliénants afin de porter les valeurs universelles de lhumanité. Créer une culture soi-disant prolétarienne ou un art soi-disant prolétarien à partir de rien est une pure chimère (16).

Le but donc dune contre-culture serait de faire redécouvrir des œuvres issues de la culture populaire, cest-à-dire venant du peuple et des luttes sociales, celles exprimant ses opinions et tendances. Nous avions lors de notre article il y a quatre ans énuméré un ensemble d’œuvre à redécouvrir. Nous ne changeons absolument pas les noms cités, mais nous y ajoutons le roman Quatre-vingt-treize de Victor Hugo, Les cloches de Bâle de Louis Aragon, Roses à crédit dElsa Triolet, les œuvres dOusmane Sembene et de Bertolt Brecht, la filmographie de René Vautier, La planète sauvage de René Laloux, La Marseillaise de Jean Renoir, et tant dautres. Accompagnés par la redécouverte de pratiques culturelles, que ce soit en termes dactivité politique et syndicale, de connaissance et pratique artistique. Cest comme cela quon pourra concurrencer lhégémonie capitaliste, pas autrement. Vouloir simplement la remplacer en reprenant à la lettre les mêmes codes, les mêmes représentations que lui, la même captation de limage, est peine perdue : cest dans lADN de ce capitalisme et il aura dautant moins de mal à nous battre que cest aussi naturel pour lui dabrutir les gens pour vendre ses marchandises que pour nous de respirer ! Ceci dit, il ne sagit pas de senfermer dans une contre-culture complètement sectaire car 1) nous vivons pour linstant dans une société capitaliste et nous ne pouvons pas totalement nous en extraire ni en extraire les autres de manière abrupte, 2) nous devons toujours partir de ce que les gens aiment (de ce quils aiment vraiment, pas de ce quils sont poussés à consommer) afin de réaliser cette contre-culture.

 

Quentin-JRCF

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