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Classiques ou avant-gardistes, quelles formes pour un art populaire et révolutionnaire au XXIème siècle ? (3)

Les articles précédents ici et ici.

Un « réalisme ouvert, profond et riche ». Il s'agit là très certainement des quatre mots qui devraient constituer notre base de travail. Mais que serait concrètement un « réalisme ouvert, profond et riche » ?

Dans le domaine de la production cinématographique, il semblerait que le réalisateur soviétique Kalatozov ait tracé une voie intéressante. On peut, en effet, observer dans ses films un subtil mélange à la fois d'un réalisme très sobre d'étoffe classique et d'un lyrisme romantique communiqué par des expérimentations formelles très audacieuses. On ne saurait que trop recommander aux lecteurs de ces lignes le visionnage de La Lettre inachevée ainsi que de Soy Cuba. Ce dernier film, sorti en 1964, nous montre, à travers le regard de différents personnages, la dure réalité de la vie à Cuba et les aspirations de son peuple à la liberté à la veille de la Révolution sous la dictature de Batista. Ce film représente à la fois la réalité sociale dans ses aspects les plus violents de manière sobre et dépouillée, tout en montrant la décadence de l'empire d'une façon qu'on pourrait qualifier de "baroque" tant le faste, l'abondance, la débauche et la luxure sont des éléments nettement mis en avant dans les scènes du début où l'on voit des oligarques étasuniens jouir sans entraves des richesses qu'ils ont pillées en festoyant dans un club où le Champagne coule à flots, accompagnés de prostituées. On y voit également la lutte révolutionnaire menée par le peuple cubain pour son indépendance. Et celle-ci alterne entre des représentations réalistes qui montrent le travail concret d'organisation de la résistance et un certain lyrisme qui met en valeur le caractère absolu des aspirations au bonheur commun et à la liberté et le dévouement des combattants porté jusqu'au sacrifice de leur propre vie.
 
 Ainsi, un « réalisme ouvert, profond et riche », ce serait en définitive une synthèse. Synthèse entre le classique et l'avant-garde, entre la sobriété et le lyrisme, entre le figuratif et l'abstrait. Et finalement, un dépassement dialectique de tous les dualismes. Ou comme le disait encore Adolfo Sanchez Vázquez : « Le véritable réalisme commence lorsque ces formes ou figures visibles sont transformées pour en faire une clé du monde humain qu'on veut refléter ou exprimer. Nous devons dire, par conséquent, que le réalisme a besoin de dépasser la barrière de la figuration, dans un dépassement dialectique en mesure de réabsorber les figures et les formes réelles pour s'élever à une synthèse supérieure. La figure réelle, extérieure, est un obstacle qui doit être dépassé pour que le réalisme ne soit pas de la figuration mais de la transfiguration. Transfigurer signifie placer la figure à l'état humain. » Autrement dit, un art véritablement populaire et révolutionnaire se doit de communiquer l'universel au travers du particulier. Il doit mobiliser des références communes, celles du peuple, pour les transformer en une œuvre nouvelle. Cela implique de rompre avec la conception bourgeoise qui consiste à dépolitiser l'art, et finalement, à le désincarner. Car l'art, si on le considère sous l'aspect de ses fonctions anthropologiques, est fondamentalement politique. Unir la cité autour de références communes qui transcendent l'individu et ses pulsions : tel était l'objectif de la tragédie grecque, née dans la démocratie ath
énienne. Et cette dimension civilisatrice s'incarne précisément dans le destin tragique que connaît le héros pour s'être écarté des règles communes de la Cité.
 C'est pourquoi un art populaire ne peut pas être créé à partir de rien avec la prétention d'être
révolutionnaire, autant qu'il ne peut pas se contenter de répéter les formes du passé. Dans un article publié dans la presse presse culturelle soviétique, Lounatcharski résume assez bien l'enjeu auquel nous faisons face : « L'esthétique du passé, nous ne pouvons l'admettre que de manière critique, c'est-à-dire que nous ne pouvons ni l'ignorer, ni l'accepter sans réserves. Elle doit servir d'engrais pour notre propre esthétique qui à ce jour, n'existe que sous forme de bases de départ. »
 
 En conclusion, il importe de se poser la question de savoir ce que ces réflexions énoncées impliquent concrètement pour ce qui concerne l'art de notre pays et de notre époque. Si nous avons opéré la distinction, en introduction, entre art populaire et culture de masse, une précision s'impose : si on part du constat que les références communes de notre peuple sont sous l'influence significative de cette culture de masse, alors un art populaire et révolutionnaire en gardera nécessairement des séquelles (du moins dans un premier temps), de la même manière qu'on a pu observer dans la culture des pays africains fraîchement décolonisés des années 60 une forme d'hybridation où se mêlaient des références locales avec celles issues de la culture des colons, ainsi que des formes traditionnelles locales avec des formes issues des courants artistiques de l'ancien pays colonisateur.
 C'est pourquoi il est sans doute nécessaire que les artistes révolutionnaires de notre pays et de notre époque s'approprient les genres qui sont ceux que consomment massivement le peuple travailleur et la jeunesse populaire, de façon à transformer cette culture de masse aliénante en une arme d'émancipation.
 Quels sont ces genres ? Dans le domaine de la production cinématographique, on peut constater que la série est en train de supplanter le film. En musique, le rap et l'électro se sont imposés comme les plus influents. Dans les arts picturaux, ce qu'on appelle le "street art" est visible sur les murs de toutes nos villes. N'oublions pas non plus, en ce qui concerne la bande dessinée, les comics et les mangas qui sont les genres les plus en vogue.
 Nous pouvons à présent terminer sur cette question : comment se réapproprier la culture de masse pour la transformer en un art populaire à vocation émancipatrice ?
 
 Blu

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J
Je ne crois pas qu'un artiste peut créer en voulant se conformer à une théorie comme celle-ci. Il peut certes y être influencé, mais pas créer en ayant à l'esprit de vouloir s'y conformer dans les principes.<br /> <br /> Je crois que la théorie doit intéresser les critiques et que ce sont les critiques qui doivent s'en servir pour juger ce qui se fait en art.<br /> <br /> Mais les artistes sont naturellement inspirés de leurs expériences et leur création est naturellement leur vision des réalités qu'ils perçoivent. Ils n'ont pas à se référer à une théorie, mais à ce qu'ils perçoivent tout simplement. Leur conscience de la réalité ne peut pas être soumise au formatage d'une théorie. <br /> <br /> L'art évolue ensuite avec l'évolution des réalités et problèmes sociaux qui deviennent à l'ordre du jour de la société. <br /> <br /> L'analyse des pratiques artistiques par la critique révolutionnaire peut produire aussi une théorie, ou servir une théorie.
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