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JRCF

Sortir de l'anticommunisme : l'annexion de l'Allemagne de l'est

L'un des points clés de l'anticommunisme actuel, c'est d'invoquer le fameux Mur de Berlin et dont la chute aurait apporté toutes les merveilles de l'ouest aux pauvres Ossies ! Nous avions d'ailleurs "choqué" quelques personnes de l'auditoire lors de la manifestation du 11 novembre, contre la venue de Trump à Paris, en parlant d'annexion de la RDA par la RFA. De manière étrange, personne ne parle de l'état de l'Allemagne de l'est maintenant et de la façon dont vit sa population. Si on omet le film Goodbye Lenine, on entend peu parler aussi de l'ostalgie des allemands de l'est pour la RDA.

Afin d'éviter toute confusion, nous ne sommes pas des apologistes de la fameuses Stasi, dont nous reconnaissons par l'intermédiaire de notre secrétaire national Georges Gastaud, qu'elle avait pris trop de pouvoir par rapport aux autres institutions de la RDA, mais qu'en plus de cela plusieurs de ses dirigeants ont participé activement à la mise à mort de la République populaire !

Toutefois, nous ne pouvons que constater le désastre qu'a été l'annexion pure et simple de cette république à la RFA, et par-là même la vente du patrimoine complet de cette nation. 

- Vous avez d'abord un article de synthèse de l'équipe de rédaction du site Initiative communiste pour les 25 ans de la chute du Mur.

- L'interview du chercheur Vladimiro Giacche après la publication de son livre Le second Anschluss et qui raconte en détail ce qui est arrivé à l'Allemagne de l'est. 

- Enfin, vous trouverez un article du Monde diplomatique sur ce qu'on perdu en terme de droit les femmes de l'est avec la chute du Mur.

25 ans après la chute du Mur, la dure réalité en chiffres : chômage, revenus…

Aujourd’hui, les médias DDRcélèbrent les 25 ans de la chute du mur de Berlin. Discours convenus reprenant les slogans des vainqueurs de la guerre froide. Qui s’étonnera de cette autocélébration tapageuse de la chute d’un mur, alors que partout dans un silence médiatique assourdissant les mêmes sont les premiers bâtisseurs de murs de la honte, avec pour maître d’œuvre les USA, Israël ou encore aujourd’hui en Europe la junte pro UE de Kiev.

Combien d’éditorialistes pour clamer les louanges de la , censée avoir apporter la richesse de la  à cette  présentée comme un échec total et combien pour parler de cette réalité censurée à l’heure où la crise du capitalisme s’aggrave, que la pauvreté frappe et que la guerre est à nouveau en Europe de ces nombreux allemands regrettant la .  Il est significatif de souligner que les “démocrates” capitalistes n’ont même pas pris la peine d’un vote pour demander leurs avis aux Ossies sur la . Sur le plan économique, il s’est agit de se partager au plus vite et à vil prix les richesses de cette RDA, 8e pays le plus riche du monde.

25 ans plus tard, chômage, casse des salaires, UE totalitaire et la guerre à l’horizon : les travailleurs fêtent la chute du Mur

25 ans après la chute du mur, les travailleurs doivent se poser la question de savoir si l’effondrement du bloc de l’est – qui imposait de par sa seule existence aux pays occidentaux de devoir assurer un minimum de droits pour les travailleurs – quels progrès cela a eu pour eux. Une fois les pays de l’Est digérés, la crise économique est repartie de plus belle ; nos salaires sont en chute libre, les droits des travailleurs, les protections sociales volent en éclat sous les attaques du patronat. L’extrême droite est poussée en avant alors que la guerre a fait sa réapparition en Europe (Yougoslavie, Ukraine…)…

A l’Est, le miracle économique n’a pas eu lieu.

Les ex-pays de l’Est, intégré à marche forcée au sein de l’UE affichent des salaires de misère, permettant un dumping social effréné au sein de l’Union Européenne du Capital. Désindustrialisation, chômage, confiscation de la souveraineté populaire par une UE de plus en plus totalitaire, oui, les travailleurs devraient faire le , pour savoir s’il doivent -avec les médiacrates de l’oligarchie capitaliste -célébrer la chute du mur de Berlin.

25 ans après la chute du Mur, la dure réalité en chiffres : chômage, revenus…

Loin de cette déferlante propagandiste – démontrant au passage que la liberté selon la démocratie bourgeoise est bien totale pourvu de défendre la dictature de la classe capitaliste – www.initiative-communiste.fr vous propose d’examiner quelques chiffres 25 ans après la réunification.

Ostalgie

Plus de 20 ans après la chute du Mur de Berlin, nombreux sont les Ossies à regretter l’ de l’Est, la RDA et son plein emploi comme le prouve notamment selon un sondage de l’institut Leipzig pour le magazine Super Illu et un sondage de l’Institut Emid pour le Berliner Zeitung.

Une majorité d’entre eux sont d’avis que l’ex-RDA avait “d’avantage d’aspects positifs que négatifs”. Jugez plutôt :

  • 49% des habitants de l’ex RDA estiment que “il y avait quelques problèmes, mais globalement on y vivait bien”. et 8% soulignent que “la RDA avait surtout de bons côtés et qu’on y vivait heureux et mieux que dans l’Allemagne réunifiée d’aujourd’hui” : C’est 57% des Allemands de l’Est qui – pouvant faire la comparaison aujourd’hui – défendent la RDA. On est loin, très loin de la propagande médiatique de ce jours.
  • 34% des anciens habitants de Berlin-Est se considèrent encore comme des Berlinois de l’Est
  • 17% des Allemands de l’Est approuvent la phrase. « Il aurait mieux valu que le mur ne tombe pas
  • 52% des Allemands de l’Est se considèrent traités comme des “citoyens de seconde zone”
  • 44% des chômeurs souhaitent le retour du régime communiste qui fournissait un travail et un logement à tout le monde

Il est vrai que la chute du mur de Berlin, loin de se traduire par une hausse du niveau de vie s’est traduite par une vague de privatisation massive des industries est-allemandes (il ne fallait pas faire de concurrence au capitalisme ouest allemand !). Avec pour conséquence tout à fait nouvelle pour les allemands de l’Est l’apparition du chômage. Un chômage de masse. Car en RDA il faut le rappeler n’y avait pas de chômage. Dès 1990, il y avait 1 millions de chômeurs indemnisés, 3 millions d’actifs en situation de sous emplois pour près de 9 millions d’actifs. Une véritable catastrophe économique.

Taux de chômage en Allemagne de l’ouest et en Allemagne de l’est

Évolution des taux de chômage en RFA et RDA entre 1991 et 2011 Source Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur. * données CVS.

25 ans plus tard, les Länder d’ex RDA sont affectés par un taux de chômage du double de ceux de la RFA.La différence est tout à fait frappante si on place les taux de chômage sur une carte, pour l’année 2012

Comparaison des taux de chomage RDA - RFA 2012

Comparaison des taux de chômage RDA – RFA 2012 – source

Comparaison des taux de chomage RDA - RFA 2013 - H-F

Comparaison des taux de chômage (hommes / femmes ) RDA – RFA 2012 – source

Entre 1991 et les années 2000, le nombre d’emplois dans le secteur industriel à l’Est a diminué de près de la moitié, alors que la production par actif occupé à augmenté de 1,7 ( 1,1 sur la même période en Allemagne de l’Ouest) dépassant désormais de 10 points la productivité en RFA…

Réunification? vraiment? clivage des niveaux de vie

Deux gamins allemands se parlent chacun d’un côté du mur de Berlin.
Celui de la RFA a une orange et s’en vante auprès de celui de la RDA:
-J’ai des oranges, j’ai des oranges nanana…
L’autre réfléchit puis répond:
-Oui mais moi j’ai le socialisme, nananana!
Le gamin de la RFA réplique :
– oui mais t’as pas d’orange…
Le mur tombe, le gamin de l’Est demande à celui de l’ouest :
– Elle est où mon orange?
Le gamin de l’Ouest lui répond :
– Non mais tu te crois où? socialiste va !

Selon les médias, c’est le retard économique et le niveau de vie inférieur en RDA qui aurait poussé les allemands de l’Est à faire tomber le mur, pour obtenir le même niveau de vie. Logiquement, 25 ans après la chute du mur de Berlin, (soit près de la moitié de la vie de la RDA tout de même), les différences devraient s’être effacées.

Force est de constater que ce n’est pas du tout le cas.

Le revenu par habitant reste inférieur de 33% à celui de la RFA, conservant la différence d’avant la chute du Mur. La chute du mur en fait n’a pas eu de réels effets sur les revenus des allemands de l’Est.

écart revenus RFA- RDA

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur.

Loin de s’accompagner d’un mouvement de rattrapage salarial, c’est en fait une compression relative des salaires qui a eu lieu à l’est. Comme en témoigne le graphique suivant pour les salaires dans l’industrie. Dès 1993, un mouvement de baisse des salaires est engagés, dans des proportions plus importante à l’est qu’ à l’ouest. Dès 2002, les coûts salariaux unitaires dans l’industrie deviennent inférieurs à l’Est qu’à l’Ouest… Au passage, ce graphique démontre également l’intense politique de guerre aux salaires menée en RFA dès la chute de la RDA.

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur. Barres du graphique : coûts salariaux unitaires ; courbe du graphique : coûts salariaux de l’est comparés à ceux de l’ouest.

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur. Barres du graphique : coûts salariaux unitaires ; courbe du graphique : coûts salariaux de l’est comparés à ceux de l’ouest.

25 ans plus tard, les emplois dirigeants restent pour les allemands de l’ouest, quand les allemands de l’est doivent se contenter des fonctions subalternes.

Structure de l’emploi en Allemagne de l’ouest et de l’est (1er trimestre 2010)

Fonction / qualification

Allemagne de l’ouest¹)

Allemagne de l’est

Position dirigeante

10,9

8,8

Activités hautement qualifiées mais non dirigeantes

23,7

19,9

Qualification de niveau moyen

41,6

49,3

Techniciens spécialisés

15,3

15,9

Fonctions simples

8,5

6,1

Total

100

100

Source : Statistisches Bundesamt. ¹) Berlin compris. http://rea.revues.org/4176

Si les revenus salariaux restent très inférieurs à l’Est qu’à l’Ouest, c’est également vrai concernant les revenus du patrimoine.

En 2008, par an et par habitant, le revenu issu du patrimoine s’élevait à seulement un peu plus de 2 000 € (en termes nets) à l’est, contre non moins de 5 200 € à l’ouest. Certes, les Allemands de l’est ont vu nettement progresser leur patrimoine, mais celui-ci est loin d’atteindre le niveau de l’ouest ; et l’épargne qu’ils prélèvent sur leurs revenus courants est elle aussi inférieure à celle des Allemands de l’ouest. (source)

Cette différence de revenus est équivalente à la différence entre transfert sociaux (impôts sur le revenu,cotisation sociale et prestations sociales monétaires ) pour lesquels en 2008 les allemands de l’Est percevait 3300€ de plus que les allemands de l’Ouest… De quoi relativiser fortement les transferts sociaux Est Ouest mis en avant à grands cris.

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur.

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur.

Deux decennies ont passé depuis la réunification de l’Allemagne. Pourtant, les landers d’ex-RDA, s’ils ont été intégré au modèle capitaliste et aux institutions de la RFA, ils restent loin de la richesse de la RFA.

ndir Original (jpeg, 60k) Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche source : Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur. Etat : 2008.

Source : Arbeitskreis Volkswirtschaftliche source : Gesamtrechnung der Länder, calculs de l’auteur. Etat : 2008.

 

PIB par habitant RFA RDA 2012

Sur l’immigration Est – Ouest, avant et après la chute du mur

Il y a eu une très importante immigration de la RDA vers la RFA dans les années de l’après guerre. Comment la partie occidentale de l’Allemagne, la plus vaste, nettement moins affectée par les destructions de la guerre (l’essentiel des combats a eu lieu à l’Est, la défaite nazie étant essentiellement le fait des victoires de l’armée soviétique), notamment dans ses riches régions de la Bavières, de la Ruhr et disposant des principaux ports et surtout dispensée de payer des dommages de guerre et recevant une aide massive des USA aurait pu ne pas être la plus attractive que la partie orientale, plus petite et totalement détruite, en particuliers pour ces millions d’allemands quittant les pays de l’Est où ils s’étaient installés?  On parle de près de 3 millions d’immigrés de l’Est vers l’Ouest. Ce qui ne veut pas dire que personne à l’Ouest n’a immigré en RDA. Selon les estimation,  700 000 allemands de RFA émigrèrent en RDA.

Ce qu’il faut souligner c’est qu’au contraire de la RFA qui faisait tout pour encourager l’immigration, à des fins de propagande idéologique, la RDA a au contraire une une politique dissuasive , refusant près de 30% des demandes d’immigrations, puis refusant les demandes de ré-immigration depuis l’Ouest.

Il est également important de rappeler que la décision de partitionner l’Allemagne fut le résultat des initiatives occidentales (réunification des zones, création du deutch mark…), et non de faits de la partie soviétique.

Si la propagande occidentale a monté en épingle cette réalité complexe des migrations inter RFA-RDA – la qualifiant de vote avec les pieds – il convient de noter que 25 ans après la chute du mur, et alors que la RDA n’est plus et que l’on ne peut donc plus mettre en accusation le modèle socialiste, les migrations de l’ex RDA vers la RFA se poursuivent.

Solde migratoire, comparaison RFA- RDA - 2012

Solde migratoire, comparaison RFA- RDA – 2012 – source

Les actifs, en particulier les jeunes continuent d’émigrer des Länder de l’ex-RDA vers la RFA alors que dans le même temps la chute brutale de la natalité (divisé par deux), contribue à un vieillissement accéléré de la population de l’Est

RDA / RFA : sociologie politique des blagues

Après tous ces chiffres, terminons sur une note moins sérieuse, mais néanmoins instructive : deux blagues qui circulaient à l’ouest ou à l’est après la la réunification :

  • A l’est : Un Ossi à un autre :
    « Ton boulot c’est quoi en ce moment ?
    – Ben, justement, rien.
    – Joli travail.
    – Oui, mais quelle concurrence ! »
  • A l’Ouest : Un chef du personnel à un Ossi candidat à une embauche :
    « Vous ne trouvez pas que vos prétentions salariales sont un peu élevées ? Vous n’avez aucune qualification, pas d’expérience, et vous voulez 10 000 marks par mois ?! »
    L’Ossi :
    « Eh, le travail est bien plus dur quand on ne sait pas ce que c’est ! »
 

La réunification allemande est généralement présentée comme un succès économique. Etes-vous d’accord avec cette vision ?

Vladimir Giacchè. Non. Mais, ce n’est pas moi, ce sont les chiffres qui décrivent une réalité différente. Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, plus de 40 % de la population vit de transferts sociaux. Le taux de chômage est un peu moins du double de celui de l’ouest, le PIB par habitant se situe environ à 75 % de celui l’ouest (mais dans le seul secteur privé, il est plus bas d’encore 10 %). Au cours de ces 25 années, l’émigration vers l’ouest a concerné un peu moins de 3,8 millions de personnes sur une population de départ de 16 millions de personnes, alors que seulement 1,8 million d’Allemands de l’ouest ont fait le chemin inverse.

Les conséquences de cette situation sont un écroulement de la natalité, un vieillissement de la population et un dépeuplement des villes. Il ne s’agit pas là d’opinions, mais de faits. Et c’est aussi un fait que l’ancien territoire de la RDA depuis la chute du mur de Berlin a connu un des taux de croissance les plus bas parmi les anciens pays du bloc de l’est. Si l’on ajoute à cela que la contribution de ces territoires au PIB total allemand est inférieur à celui de la RDA (moins de 11 % en 2011 contre 11,6 % en 1989), il paraît évident que l’on ne peut imputer la responsabilité de cette situation à ce qu’il y avait avant ou au seul régime d’Honecker. La RDA faisait partie du bloc socialiste, comme la Pologne, qui était alors beaucoup plus arriérée et qui, ensuite, a connu des taux de croissance bien plus élevés. On peut faire la même constatation pour la République tchèque et la Slovaquie, et d’autres encore. L’ex-RDA reste un Mezzogiorno au centre de l’Europe.

Comment expliquez-vous cette situation ?

Elle s’explique en grande partie par la façon dont a été conduite l’unification de l’Allemagne, en particulier l’union monétaire voulue par Helmut Kohl, qui a ouvert la voie à l’union politique réalisée le 3 octobre 1990, mais qui a désertifié industriellement l’Allemagne de l’Est.

Pourquoi ? Quelles ont été les conséquences pour l’ex-RDA et pour l’Europe des choix monétaires du gouvernement Kohl ?

L’union monétaire des deux Allemagnes, entrée en vigueur le 1er juillet 1990, a été réalisée au mépris des avis négatifs émis par les experts économiques du gouvernement d’Allemagne de l’ouest et même du président de la Bundesbank. Ces derniers mirent en garde contre une union monétaire faite à la hâte, sans prévoir aucune période de transition. De plus, elle a été réalisée avec des taux de change totalement irréalistes. Le taux d’un mark de l’ouest pour un mark de l’est était absolument insensé si l’on prend en compte le fait que les rapports commerciaux entre les deux Allemagne en 1989 étaient établis sur un taux (accepté évidemment par les deux parties) d’un mark de l’ouest pour 4,44 marks de l’est.

Ce taux de change a signifié une chose très simple : une réévaluation des prix des biens produits à l’est de 350 %. Le même gouverneur de la Bundesbank, Karl Otto Pöhl, a déclaré plus tard que, de cette façon, l’économie de l’Allemagne de l’Est « fut soumise à un remède de cheval auquel aucune économie ne peut survivre ». Et de fait, les industries de l’Allemagne orientale perdirent, littéralement en un jour, trois types de marchés : celui de l’ouest, celui de l’intérieur de l’ex-RDA et celui de la Russie et des pays de l’est. Alors que, dans le même temps, les industries de l’Ouest se virent ouvrir les portes d’un marché de 16 millions de consommateurs. Ce sont ces mêmes industriels de l’ouest qui ont parlé du « boom de la réunification » pour l’ouest. Mais, pendant ce temps, les « blühende Landschaften », les « paysages en fleurs » promis par Helmut Kohl à l’est ne sont jamais venus. Les Länder de l’est ne sont absolument pas, 25 ans après, en mesure de s’autosuffire, mais ils doivent encore dépendre des transferts massifs du gouvernement fédéral, qui, en grande partie, finance la consommation.

Et pour l’Europe, quelles ont été les suites de cette unification ?

Pour l’Europe, les conséquences de l’unification allemande (monétaire, puis politique) ont été en particulier l’accélération de la construction européenne voulue par Mitterrand pour « contenir » la puissance d’une Allemagne qui avait acquis à nouveau une centralité géopolitique en Europe. L’Union monétaire européenne elle-même était une partie de ce dessein. Ses résultats ont cependant été opposés à ceux que l’on espérait alors : la Banque centrale européenne est devenue une sorte de Bundesbank continentale et l’orthodoxie néolibérale allemande a fini par s’imposer à toute l’Europe.

L’unification monétaire allemande peut-elle être considérée comme un modèle de la création de l’euro ?

Je ne dirais pas que c’est un modèle, si on signifie qu’il s’agit d’une répétition ponctuelle et intentionnelle de toutes les caractéristiques de l’union monétaire. Ainsi, dans le cas de l’euro, il n’y a pas une réévaluation anormale des autres monnaies par rapport au mark dans la fixation du taux de change. On peut cependant souligner qu’une réévaluation a bien eu lieu et, par exemple, dans le cas de l’Italie, le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer – qui faisait partie de l’équipe de négociateurs de l’union monétaire allemande – négocia le taux de change avec beaucoup d’obstination.

Il existe cependant un parallèle possible ?

Oui, car l’essentiel est ailleurs. Aujourd’hui, beaucoup d’économies européennes souffrent des mêmes maux que celle de l’Allemagne de l’Est après l’introduction du mark de l’ouest : chute du PIB, désindustrialisation, taux de chômage élevé, déficit de la balance commerciale, émigration. Ce n’est pas un hasard. La monnaie unique a accentué la spécialisation productive en Europe, en renforçant le principal producteur de produits manufacturiers au détriment des pays ayant une productivité du travail plus faible. Ce processus a été aggravé par une politique mercantile allemande agressive – une politique économique qui mise tout sur les exportations, au point de sacrifier la demande intérieure.

Cette politique a été rendue possible par deux mouvements : les relations de sous-traitance avec les pays à bas salaires de l’est européen qui ne font pas partie de la zone euro et la réforme du marché du travail menée par Gerhard Schröder. Grâce à « l’Agenda 2010 », la dynamique salariale allemande s’est maintenue bien en dessous de l’inflation et même de l’augmentation de la productivité du travail. Cette productivité a, entre 2000 et 2012, augmenté de 14 %, mais les salaires réels ont diminué de 1 %. En France, dans le même temps, la productivité a progressé de 12 %, mais une grande partie de cette hausse a été transférée aux salaires.

La monnaie unique empêche une récupération de la compétitivité par le réajustement des taux de change et l’adoption d’une politique mercantile dans un tel contexte a créé des déséquilibres croissants des balances commerciales à l’intérieur de la zone euro. Ceci a conduit à une désindustrialisation progressive dans les pays de la périphérie, mais aussi en France, qui, en revanche, a permis à l’Allemagne, de renforcer grâce aux exportations la composante industrielle de son PIB.

Cette désindustrialisation est commune avec celle de la RDA ?

Cette désindustrialisation de la périphérie contient, à la longue, des logiques explosives, et rend nécessaires des transferts du centre vers la périphérie. Si je veux que la zone euro appauvrie et désindustrialisée continue à acheter mes marchandises, je dois financer ses consommations. C’est ce qui s’est passé avec la RDA. Mais c’est justement cette partie du modèle que l’Allemagne se refuse à copier. Elle préfère maximiser ses avantages à court terme.

Il est clair qu’une union monétaire qui alimente de tels déséquilibres en son sein ne peut résister à long terme. On ne peut davantage penser qu’elle puisse fonctionner par la pure et simple exportation du modèle de « l’Agenda 2010 » dans les autres pays. Pour deux raisons. La première est que toute politique mercantile fondée sur la déflation salariale suppose nécessairement que les autres ne suivent pas la même politique. Autrement, le seul résultat sera une course à la baisse des revenus et ce sera un appauvrissement généralisé. La deuxième raison est que la diminution des salaires dans les pays en crise affaiblit la demande et frappe les entreprises qui travaillent sur le marché intérieur, avec, comme résultat, de détruire la capacité productive et d’aggraver la crise. On l’a vu en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie et aussi en France.

Dans le nouveau mémorandum grec, il existe un « fond de privatisation » qui semble inspirée par la Treuhand allemande. Le parallèle vous semble pertinent ?

Il est absolument pertinent. La Treuhandanstalt, l’institution qui a privatisé entièrement l’économie de l’Allemagne de l’Est, a été explicitement proposée à la Grèce comme un modèle à suivre depuis 2011 par Jean-Claude Juncker, qui était alors président de l’Eurogroupe et est aujourd’hui président de la Commission européenne. « Je saluerais avec plaisir le fait que nos amis grecs créent une agence de privatisation indépendante, sur le modèle de la Treuhandanstalt allemande, dans laquelle des experts étrangers auraient aussi une place », a-t-il alors affirmé.

L’adoption de ce modèle a été définitivement établie dans le dernier « plan de sauvetage » de la Grèce signé par le gouvernement Tsipras. Et ceci est paradoxal : la Treuhand détruisit une richesse de l’ordre de 900 milliards de marks de l’ouest (environ 450 milliards d’euros, NDLR) et fut tâchée de scandales d’escroqueries et de corruptions. Il y a même eu une commission d’enquête parlementaire sur elle. Il s’agit d’une institution qui, avec le mot d’ordre: « la privatisation est le meilleur assainissement », opéra de fait une liquidation des actifs industriels de la RDA, déjà dévalorisés par l’union monétaire. Les conséquences pour la Grèce seront les mêmes : une liquidation du patrimoine d’infrastructures et des industries d’Etat.

source : Interview de par Romaric Godain – La Tribune

Ce qu’ont perdu les femmes de l’Est

 

la faveur du processus d’unification, la plupart des sociologues avaient parié que les conditions de vie des femmes à l’Est et à l’Ouest s’harmoniseraient à court ou moyen terme. Pronostic trop optimiste ? En 2007, par exemple, seules 16 % des mères d’enfants âgés de 3 à 5 ans occupaient un emploi à temps plein dans l’ouest du pays, contre 52 % à l’Est. Et, si le taux de natalité de l’ancienne République démocratique allemande (RDA) est désormais aussi bas que celui de l’Ouest, de fortes disparités subsistent (1). Ainsi du pourcentage de naissances hors mariage : 61 % dans la partie orientale en 2009, contre 26 % dans la partie occidentale (2).

La population féminine des nouveaux Länder a été particulièrement affectée par les bouleversements sociaux et politiques provoqués par l’unification. En RDA, les mères, contrairement à celles de la République fédérale d’Allemagne (RFA), conciliaient sans embarras vie familiale et vie professionnelle. L’absorption de l’Est par l’Ouest a provoqué une hausse vertigineuse de leur taux de chômage et chamboulé leurs modes de vie, leurs projets, leur confiance en elles.

Dans toute l’Allemagne, comme ailleurs en Europe, le taux d’activité des femmes s’est considérablement accru depuis les années 1950, mais en RDA cette évolution a été sans commune mesure avec celle de l’Ouest. A la fin des années 1980, 92 % des Allemandes de l’Est occupaient un emploi, contre 60 % de leurs voisines occidentales. Sur ce point, l’égalité était en vue — un cas presque unique au monde. Alors qu’à l’Ouest les femmes orientaient leurs projets de vie selon des schémas encore très imprégnés par l’imagerie familiale et patriarcale traditionnelle, à l’Est, leur indépendance économique vis-à-vis du conjoint allait pour ainsi dire de soi.


 

La chute spectaculaire de la natalité observée en RDA au cours des années 1970 a conduit le régime à prendre diverses mesures pour inciter les femmes actives à enfanter, avec un effort particulier en faveur des mères isolées ou divorcées. Parfois moquée pour sa justification idéologique (alimenter en effectifs la construction d’une « société socialiste »), cette politique a cependant permis d’harmoniser projets professionnels et contraintes parentales. De l’autre côté du Mur, en revanche, la condition de mère entraînait souvent des privations, voire un basculement dans la pauvreté, surtout en cas de divorce ou d’abandon par le conjoint.

Rien d’étonnant donc à ce que les femmes de l’ex-RDA aient souvent perçu la réunification comme une menace pour leurs conditions de vie. A travers l’expérience inédite du chômage, c’est un système de valeurs apparaissant jusque-là comme évident qui s’est effondré. « A l’agence pour l’emploi, quand tu leur dis “seule avec deux enfants”, ils ne savent pas de quoi tu parles. L’agente assise en face de moi ne m’a même pas jeté un regard, rien, raconte Ilona, mère isolée et ancienne vendeuse à Berlin-Est. Elle remplit sa fiche, vite, et puis dehors, au suivant. » En RDA, les femmes vivaient sous la protection d’un Etat omnipotent qui maintenait le père et la famille dans une fonction sociale subalterne. Opérée sous l’égide des institutions, la socialisation des enfants eux-mêmes était largement déconnectée de la cellule familiale. Or l’attachement féminin à l’autonomie n’a pas disparu avec le Mur.

Une enquête menée auprès de Berlinoises sans emploi au début des années 2000 révélait des rapports très différents au travail et aux enfants. Toutes considéraient ces derniers comme un élément central de leur existence, mais celles qui venaient de l’Ouest leur accordaient plus d’importance qu’à leur travail. Bien que conscientes des tracas qui les guettaient, elles avaient tendance à voir leur chômage comme une occasion de jouer pleinement leur rôle auprès d’eux. En revanche, les Berlinoises de l’Est voulaient mener de front leur éducation et la réalisation de leurs projets professionnels, estimant qu’ils grandiraient dans de meilleures conditions si elles retrouvaient un emploi. « Mieux dans leur peau »en tant que travailleuses, elles seraient mieux à même de jouer leur rôle de mères. Elles considéraient leur indépendance comme un bienfait pour elles et pour leur famille.

Une protection sociale fiable, condition essentielle de l’égalité des droits

8 mars journée internationale des femmesLes mères de Berlin-Ouest estimaient en général que personne n’était mieux placé qu’elles pour prendre soin de leurs enfants. Tout en reconnaissant l’utilité des crèches et des haltes-garderies, elles tendaient à s’accommoder de leurs horaires très stricts. Pour les mères de Berlin-Est, en revanche, habituées aux horaires plus souples de la RDA, l’accès aux crèches représentait un enjeu crucial, d’autant plus que les employeurs en tenaient compte dans leur politique d’embauche. En 2000, Anna, vendeuse au chômage de 28 ans, ne cachait pas sa colère devant les refus en rafale qu’elle essuie au seul motif de sa condition de mère isolée. « On te répète tout le temps : “Quoi, vous avez deux gosses ? Ah, mais ça ne va pas être possible.” Quand je leur explique que j’ai trouvé un arrangement pour les faire garder, ils font la sourde oreille. » S’y ajoute l’éternel soupçon qu’elle pourrait enfanter à nouveau : « Il y a pourtant peu de chances que je retombe enceinte. C’est ce que j’ai dit à un type récemment : je ne vais pas refaire un enfant alors que j’en ai déjà deux, ne vous inquiétez pas. » Du temps de la RDA, pareille proclamation au bureau d’embauche eût été inconcevable.

Les mères de Berlin-Ouest voient le chômage comme une chance

Toutes les mères de l’Est en recherche d’emploi ont ainsi dû montrer patte blanche, convaincre qu’elles maîtrisaient les nouvelles règles du jeu, tout en supportant l’humiliation de se voir infliger un tel traitement. Pour les Berlinoises de l’Ouest, en revanche, ce sont surtout les exigences croissantes du marché du travail qui posent problème. Paula, mère isolée de 36 ans et secrétaire au chômage, avait postulé pour un emploi à deux pas de chez elle. « Cela aurait été parfait : on me demandait de taper à la machine, de passer des coups de téléphone, de m’occuper des clients, etc. Et puis la directrice m’a dit : “Bon, il se peut que parfois on vous demande de travailler plus de quarante heures ou de venir le week-end.” J’ai répondu que cela ne m’arrangeait pas du tout, que j’aimais mieux travailler trente heures, comme dans mes boulots précédents. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! Elle s’est mise à me crier dessus, elle était hors d’elle. Avec tout le chômage qu’il y a, me disait-elle, je devais m’estimer heureuse de trouver un travail. Puis elle m’a demandé quel effet cela faisait d’être une assistée, une parasite qui vivait aux frais de la société. » Et Paula de s’interroger : « Moi, je ne demande pas mieux que de travailler, mais c’est quoi cette société où il faut donner ses enfants à garder de l’aube jusqu’au soir ? »

Selon les sociologues Jutta Gysi et Dagmar Meyer, « le résultat le plus positif de la politique familiale menée en RDA tenait à l’indépendance économique acquise par les femmes. C’est quelque chose d’inimaginable aujourd’hui. Certes, elles touchaient un salaire inférieur de 30 % en moyenne à celui des hommes, car elles étaient souvent affectées à des postes moins qualifiés, et en ce sens leur condition n’avait rien de reluisant, ce que l’on a parfois tendance à oublier. Mais elles ne connaissaient pas la peur de perdre leur logement ou de ne pas trouver de place en crèche, car elles pouvaient s’appuyer sur une protection sociale solide et fiable. C’est une condition importante de l’égalité des droits, peut-être même la condition essentielle (3) ».

Avec un tel héritage, Edeltraud, cuisinière de 28 ans, mariée et mère de deux enfants, vivait très mal, dix ans après la chute du Mur, son assujettissement aux lois sociales actuelles et à son mari.« On devient dépendante de son partenaire, dépendante de l’argent qu’il veut bien nous donner, dépendante de la façon dont l’Etat évalue tout ça. S’il décide de vous sucrer vos allocations, c’est comme ça, point barre. Vous vous retrouvez là avec votre mal de tête, parce que l’argent, ce satané argent, c’est un sujet qui revient tout le temps, on n’y peut rien. »

Le modèle est-allemand de l’égalité hommes-femmes a eu beau s’effondrer avec le Mur, il continue, un quart de siècle plus tard, de façonner la représentation que les mères de l’ex-RDA se font d’elles-mêmes et de leur rôle social.

Sabine Kergel

Sociologue, chercheuse à l’Université libre de Berlin.

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source Le Monde Diplomatique

(1) Lire Michel Verrier, « Une “panne démographique” qui vient de loin », Le Monde diplomatique,septembre 2005.

(2) Joshua Goldstein, Michaela Kreyenfeld, Johannes Huinink, Dierk Konietzka et Heike Trappe, « Familie und Partnerschaft in Ost- und Westdeutschland », Institut Max-Planck de recherches démographiques, Rostock, 2010.

(3) Jutta Gysi et Dagmar Meyer, « Leitbild : berufstätige Mütter – DDR-Frauen in Familie, Partnerschaft und Ehe », dans Gisela Helwig et Hildegard Maria Nickel,Frauen in Deutschland 1945-1992, Akademie Verlag, Berlin, 1993.

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