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JRCF

Sortir de l'anticommunisme : le Kerala socialiste

La rédaction du site JRCF vous propose de découvrir un sujet que vous ne verrez jamais dans les médias : celui du Kerala, un Etat de l'Inde contrôlé par les communistes. Là bas, à la différence d'autres endroits de ce pays, les problèmes religieux sont peu important, la culture est forte et les luttes vigoureuses. Même si les habitants du Kerala sont encore loin d'être riche, ils vivent bien plus dignement.

Nous vous laissons découvrir ce dossier revenant sur le poids du Parti communiste d'Inde marxiste et les politiques mises en place par celui-ci.

Inde : l’un des plus grands partis communistes du monde !

 

Le  d’ Marxiste () tenait en 2015 son 21ème congrès en avril 2015 à Visakapattinam et son Plénum (du Comité central) en décembre de la même année à Calcutta. A l’issue des ces travaux, le plus grand Parti Communiste du monde (hors pays communistes) annonce avoir 1.048.678 adhérents – article et traduction Nico Maury
Etat des lieux du plus grand Parti Communiste du monde : Le CPIM

Le Parti Communiste d’Inde Marxiste (CPIM), fondé en avril 1964, compte dans ses rangs 1.048.678 adhérents. Il est de fait le plus important Parti communiste du monde (le quatrième si l’on rajoute le Parti communiste chinois et ses 88 millions d’adhérents, le Parti Socialiste Unifié du Venezuela – même si techniquement ce parti n’est pas membre de la Conférence internationale des partis communistes et ouvriers ou SolidNet – et ses 7,6 millions d’adhérents, et le Parti communiste vietnamien et ses 4,4 millions d’adhérents).

82% des effectifs du CPIM dans 4 états, un parti très localement implanté. Les principales bases du CPIM restent le Kerala avec 418.756 adhérents et le Bengale-occidental 246.072 adhérents, cela représente 63,39% des effectifs du Parti. Dans ces deux états, perdus en 2011, les communistes ont une histoire forte et des parcours différents. Au Kerala les communistes se renforcent constamment (électoralement comme en adhérents avec +56.159 nouveaux membres), à la différence du Bengale-occidental. Dans ce dernier état, la répression contre les communistes et l’implantation du Trinamool Congress (TMC) de Mamata Banerjee font reculer le CPIM (perte de 73.363 adhérents entre 2010 et 2015).

L’état du Tamil Nadu est la troisième base du CPIM. Le Parti revendique dans cet état 106.247 adhérents (+12.455 entre 2010 et 2015). Dans cette région du sud de l’Inde les communistes mènent un travail particulier pour renforcer la gauche (en Inde gauche = communiste) notamment face à un bipartisme de partis régionaux.

Dans l’état, dirigé par les communistes, du Tripura, le CPIM revendique 89.570 adhérents (+13.196 entre 2010 et 2015). On ne reviendra pas sur les triomphes électoraux des communistes.

Dans les autres états d’Inde, le CPIM est faiblement implanté. Ses “Comités d’états” sont assez faibles :

Andaman & Nicobar : 153 adhérents (-75)
Andhra Pradesh : 33.257 adhérents (79.468 en 2010, c’est à dire avant la création du Telangana)
Telangana (crée en 2014 à partir de l’Andhra Pradesh) : 47.199 adhérents
Assam : 13.557 adhérents (-957)
Bihar : 21.537 adhérents (+1436)
Chattisgarh : 1706 adhérents (-157)
Delhi : 2143 adhérents (+308)
Goa : 54 adhérents (=)
Gujarat : 4047 adhérents (+491)
Haryana : 2879 adhérents (+715)
Himachal Pradesh : 2360 adhérents (+430)
Jammu & Kashmir : 1948 adhérents (+294)
Jharkhand : 5582 adhérents (-116)
Karnataka : 9875 adhérents (+2347)
Madhya Pradesh : 3329 adhérents (+605)
Maharashtra : 12.106 adhérents (-142)
Manipur : 527 adhérents (-15)
Orissa : 5039 adhérents (+282)
Punjab : 9221 adhérents (+391)
Rajasthan : 4563 adhérents (+64)
Sikkim : 60 adhérents (-60)
Uttarakhand : 1310 adhérents (+200)
Uttar Pradesh : 5508 adhérents (-672)
Comité Central : 100 (-7)

Etat des lieux du plus grand Parti Communiste du monde : Le CPIMComposition sociale du Parti 

Le CPIM est composé de 635.609 ouvriers et travailleurs agricoles. Ces derniers représentent 60,61% des effectifs du Parti communiste. Il compte dans ses rangs 0,57% de riches propriétaires fonciers et 10,14% de personnes issues des classes moyennes. Au Kerala on compte 80,2% d’ouvriers (58,8%) et travailleurs agricoles (21,4%). Au Bengale Occidental, les adhérents issues des classes moyennes représentent 29,1% des effectifs … On constate qu’entre les états, les répartitions sociaux-professionnelles varient.

– Le CPIM est composé de 15.28% de femmes (159.394) et 84.72% d’hommes
– 7,1% des effectifs du CPIM sont issues des Scheduled Tribes. 74.049 communistes viennent d’une tribu et sont considérés comme des Adivasis. Cela représente 35,8% des effectifs du CPIM au Tripura, 49,3% au Maharashtra, 28,5% au Chattisgarh …
– 20,4% des effectifs du CPIM sont issues des castes dites “intouchables” (Scheduled Castes) ou “dalits”, soit 212.730 adhérents. Les dalits sont très important dans les effectifs du CPIM des états du Tamil Nadu (30,9%), Punjab (44,5%), Haryana (32,7%), Andhra Pradesh (27,5%) …
– Les “musulmans” (oui il existe une statistique sur cette religion car elle est considérée comme une “communauté minoritaire”) représentent 9,79% des effectifs (102.147 adhérents). Ils sont très représentés dans les fédérations du Jammu & Kashmir (85,5%) et Bengale Occidental (16,3%). 5,6% des adhérents du CPIM se définissent comme Chrétiens.

Classe d’âge : Le CPIM est un parti assez jeune, les moins de 31 ans représentent 20,02% des adhérents. On distingue deux types de population “jeune” : 6,36% de moins de 25 ans, 13,66% entre 26 et 31 ans. 49,33% des adhérents du CPIM ont entre 32 ans et 50 ans, 27,91% entre 52 et 70 ans, 2,74% ont plus de 70 ans.

Date d’adhésion : 43,52% des adhérents du CPIM ont adhéré après 2008, 37% entre 1992 et 2008, 16,4% entre 1977 et 2008, 2,64% en 1977 et 1964 (date de la fondation du CPIM). On note que 0,43% ont adhéré au CPI (avant la scission de 1964) entre 1947 et 1964.

Education au sein du CPIM (par équivalent français): 7,49% des adhérents ne sont jamais allés à l’école, 17,42% des adhérents se sont arrêtés en Primaire, 45,36% des adhérents se sont arrêtés au Collège, 16,47% sont allés au Lycée, 10,51% des adhérents ont un niveau licence et 2,73% ont un niveau supérieur ou égal à un master.

Revenus des adhérents : 25,23% des adhérents gagnent moins de 1000 roupies (Rs) par mois, soit 13,68€, 51,22% des adhérents gagnent entre 1001 et 1500 Rs, 14,97% gagent entre 1501 et 5000 Rs, 5,27% gagnent entre 5001 et 10.000 Rs (10.000 roupies correspond au revenu mensuel moyen par habitant) et 7,91% gagnent plus de 10.001 roupies.

Etat des lieux du plus grand Parti Communiste du monde : Le CPIMLes organisations de masses du CPIM

– Le syndicat CITU (Centre of Indian Trade Unions) rassemble 5.265.718 syndiqués. Ses bastions se trouvent en Andhra Pradesh (531.000 adhérents), au Kerala (1,5 millions d’adhérents), au Tamil Nadu (511.000 adhérents), au Bengale Occidental (1,2 millions).- Le front paysan “All India Kisan Sabha” ou “Kisan Front” rassemble 16.010.363 paysans affiliés. Le Bengale Occidental comprend la moitié des effectif de cette organisation de masse (8 millions d’adhérents), Au Tripura (551.000) et le Tamil Nadu (764.00) sont les deux grosses bases de ce mouvement paysan.

– Le “Agricultural Workers Union Front” rassemble 5.590.509 ouvriers agricoles syndiqués. L’Andhra Pradesh regroupe 1,6 millions de syndiqués, le Kerala est la principale fédération avec 2,2 millions de syndiqués et le Tamil Nadu avec 661.000 syndiqués.

– La “All India Democratic Women’s Association”, ou “Women’s Front”, rassemble 10.791.299 d’adhérentes. 4,7 millions de femmes du Kerala sont adhérentes à cette organisation de masse du CPIM, elles sont plus de 600.000 au Tripura et Tamil Nadu et 3,5 millions au Bengale-occidental.

– La “Democratic Youth Federation of India” (DYFI) rassemble 11.475.888 adhérents. 4,9 millions de jeunes du Kerala adhèrent à l’organisation de jeunesse du CPIM, il y a 4 millions d’adhérents au Bengale-occidental, 876.000 au Tamil Nadu et 795.000 au Tripura.

– La “Students’ Federation of India” (SFI) rassemble 4.046.660 étudiants. Dans les universités et établissements supérieurs de l’Andhra Pradesh 1 millions d’étudiants sont adhérents à la SFI, 1,3 millions au Kerala, 731.000 au Bengale-Occidental.

Ainsi les organisations de masses du CPIM regroupent 53.180.437 adhérents.

L'action des communistes au Kerala (Inde du sud, 33 millions d'habitants)depuis 50 ans et ses résultats

 

Vendredi 20 Juillet 2012

Par Anny Fradin, membre de la Fondation Copernic
Un exemple d’État socialiste, modèle de développement humain, en lutte contre la mondialisation : le Kerala
Au retour d’un voyage en Inde du Sud, lorsqu’on explique à des collègues qu’on est passé par le Kérala, un État indien essentiellement géré par les communistes depuis plus de cinquante ans, et qu’on a pu y ressentir un bien-être particulier chez ses habitants, on se rend compte, par la surprise et l’interrogation qu’on suscite (ex : « mais ils ont le droit de sortir ? ») que l’idée qu’un État communiste ne peut être que totalitaire et liberticide est bien ancrée dans notre société !

L’État du Kérala, en Inde du Sud, est un bel exemple du contraire...

Géré dès 1957 par le Parti Communiste (de tendance marxiste, élu démocratiquement), avec plus tard quelques alternances, le Kérala (33 millions d’habitants actuellement), l’un des 28 États de la République Fédérale Indienne, situé dans le Sud-Ouest de l’Inde, fut le premier État communiste indien. Cette gestion a été caractérisée par des politiques sociales exemplaires :

En ce qui concerne l’éducation, tous les enfants, sans distinction de sexe ni de caste, sont scolarisés jusqu’au niveau équivalent de fin de collège ; 98 % des enfants ont une école à moins de 2 km. La gratuité inclut les livres scolaires, les uniformes, le déjeuner et les transports. Cette politique d’éducation gratuite pour tous a déjà bénéficié à deux générations et se traduit actuellement par un taux d’alphabétisation de la population de 94%, 92% pour les femmes et 96% pour les hommes, loin devant les taux nationaux indiens de 48,3% pour les femmes et 60% pour les hommes. Sept grandes universités accueillent un nombre croissant d’étudiants pour des études supérieures de qualité. L’État du Kerala est reconnu aujourd’hui comme le seul État de l’Inde complètement alphabétisé et comme un pôle culturel exceptionnel.

Les transports en commun, bus et train, y sont considérablement développés et très peu onéreux, et de ce fait largement utilisés par la population, ceci étant vrai, de façon générale, en Inde. Nul besoin de voiture individuelle.

Il y existe un système de santé publique universel et gratuit unique qui a fait passer l’espérance de vie au Kérala à 77 ans, la moyenne en Inde étant de 67 ans ; 95% des accouchements se font en hôpital, avec une offre de soins aux enfants très développée, ce qui a permis d’abaisser la mortalité infantile à 12/1000, contre 55/1000 en Inde (en comparaison, elle est de 6/1000 dans les pays développés). Les hôpitaux sont nombreux, y compris en zones rurales, avec un personnel hautement qualifié, des traitements médicaux innovants et une offre de soins palliatifs exceptionnelle.

Un grand programme de planification familiale a permis d’éliminer la discrimination filles/garçons sévissant dans le reste de l’Inde et de faire diminuer fortement le taux de natalité (14,6/1000, contre 22/1000 en Inde). Le Kérala est le seul État indien où le « sex-ratio » est en faveur des femmes.

L’indépendance et la sécurité alimentaire de l’État ont été assurées grâce à des politiques agricoles redistributrices intelligentes mettant à profit la richesse naturelle du sol et la nature du climat, permettant une polyculture très diversifiée, riz, manioc, agrumes, canne, coco, épices, bananes, ananas et autres fruits tropicaux ainsi que les plantations de thé et café dans les « Ghats »(montagnes). Une Réforme agraire générale fut mise en place à partir de 1957, attribuant aux paysans des lopins de terre, abolissant le système de location des terres, limitant la taille des exploitations et garantissant les revenus des paysans. Cette réforme fut accueillie chaleureusement par la population et a largement contribué à la confiance envers la gestion communiste.

À l’heure actuelle, la distribution des denrées de base est assurée pour les plus pauvres et une majorité de la population a accès à des magasins subventionnés. L’activité de pêche est très importante, aussi bien au niveau local (nombreux villages de pêcheurs tout du long de la côte, avec un système de partage équitable de la récolte) que dans les grands ports (40% des exportations de produits halieutiques totales de l’Inde viennent du Kérala) ; l’aquaculture, poissons, crevettes en particulier, y est très développée, les « back-waters » étant propices à ce genre de production.

Un système de Société de Développement Communautaire (CDS) a été élaboré dans les années 80, qui a ouvert la voie à un processus d’implication de la base dans le développement local en fonction des besoins de la communauté, ceci en vue d’éradiquer la pauvreté. En 1993, une modification de la Constitution indienne accordant une plus grande autonomie aux collectivités locales a été mise à profit par le gouvernement du Kérala pour aller vers une décentralisation au niveau local des décisions et des actions de développement. Une véritable Démocratie Participative a ainsi été instaurée, les projets devant être conçus et discutés par les élus locaux et par les habitants eux-mêmes, les femmes y étant particulièrement actives. Cette organisation permet en outre d’éviter ou en tout cas de limiter détournements de fonds et corruption qui sévissent à tous les niveaux en Inde en général et contre lesquels de vastes mouvements citoyens se sont élevés dernièrement. Le système de coopératives est largement développé au Kérala.

L’industrie y est peu développée (14% du PIB). Les secteurs sont divers : agroalimentaire, textile, bois, fibre de coco, latex, électricité, chimie. Les entreprises étrangères hésitent à s’y installer en raison du fort taux de syndicalisation, du « droit du travail » et des salaires minimum élevés par rapport aux autres États indiens. L’économie repose donc essentiellement sur une production agricole importante exportée en grande part vers les autres États de l’Inde et les pays étrangers : riz, thé, épices, coprah, coco, noix de cajou, caoutchouc naturel …Le secteur tertiaire, transports, banques, tourisme représente 40% du PIB. Il faut ajouter que 20% du PIB provient des envois de fonds de Kéralais émigrés à l’étranger, en particulier dans les pays du Golfe.

 

Un exemple d’État socialiste, modèle de développement humain, en lutte contre la mondialisation : le Kerala
Le modèle économique et social du Kérala à l’épreuve de la mondialisation

L’année 1991, marquée en Inde par l’assassinat par des séparatistes Tamouls, en pleine campagne électorale, de Rajiv Gandhi, leader du Parti du Congrès (à la tête de l’État Indien, qualifié de Centre-Gauche), a vu ce parti gagner, quelques semaines après cet événement, les élections au Kérala, ce qui s’est traduit, en accord avec les préconisations du gouvernement central, par une insertion dans la mondialisation et une libéralisation de l’économie en général, avec privatisation partielle des secteurs publics et traditionnels et, conséquemment, un « dumping » fiscal et social.

Cette politique anti-sociale a provoqué un mécontentement général des travailleurs du Kérala, d’importantes tensions sociales et des grandes grèves au début des années 2000. Grâce à leur implication active dans la vie politique et leur forte syndicalisation, les Kéralais ont su lutter pour garder leurs acquis sociaux, sauvegarder leurs services publics traditionnellement exemplaires, et tout ce qu’ils considèrent comme bien public.

Leur engagement citoyen s’est particulièrement fait remarquer en 2004, qui s’est traduit par une révolte des habitants contre la multinationale Coca Cola installée au Kérala, qui pompait abusivement l’eau des nappes phréatiques, asséchait les puits des paysans et, de plus, polluait l’eau et les sols par des pesticides et des métaux lourds ; cette révolte citoyenne a permis, après plusieurs années de lutte, et avec l’aide des élus locaux, la fermeture de l’usine, avec demande de dédommagement. Les femmes en particulier ont été actives dans ce combat (ref « les femmes du Kérala contre Coca-Cola », Le Monde Diplomatique, mars 2005). Cette lutte et cette victoire ont été exemplaires puisque, Coca Cola ayant récidivé ailleurs, en particulier cette fois au Rajasthan, les paysans subissant les mêmes conséquences ont violemment protesté, très récemment, contre la présence de cette multinationale venant, de façon honteuse, voler l’eau des pays pauvres et profiter du bas coût de la main d’œuvre.
Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres ailleurs en Inde ou dans le monde, d’accaparement par des multinationales des biens naturels de pays pauvres ou en voie de développement. Ces luttes citoyennes sont malheureusement souvent violemment réprimées par les autorités locales soumises à ces multinationales et à la manne financière qu’elles représentent.

L’année 1991 avait donc vu la coalition du Congrès reprendre le pouvoir et tenter une libéralisation de l’économie, mais la coalition menée par le CPI (Parti Communiste Indien), après avoir regagné en 1996, reperdu en 2001, a regagné les élections en 2006 par 48% des suffrages au premier tour. L’alternative des communistes au consensus libéral a été de sortir de la crise par le renforcement des services publics, par des travaux d’infrastructure, la consolidation d’aides sociales, le développement d’entreprises publiques et la taxation des plus riches.

Aux dernières élections, en avril 2011, la Coalition communiste a, de façon inattendue, reperdu, de très peu (à 1% de voix près), au profit d’une coalition régionale, le Front Démocratique Uni, menée par le Parti du Congrès.

Le 28 février 2012, une grève générale historique réunissant 100 millions de grévistes, salariés du privé et du public, paysans et ouvriers, a paralysé l’Inde entière.

À l’initiative de tous les syndicats réunis (11 fédérations y compris celles affiliées au Parti du Congrès, plus de nombreux syndicats indépendants), cette grève s’élevait contre les politiques anti-sociales du gouvernement central (dérégulation du code du travail, suppression du salaire minimum, généralisation des contrats précaires), contre l’augmentation du coût de la vie (matières premières et denrées de base), contre les privatisations, la sous-traitance et les délocalisations, etc. Les secteurs les plus concernés ont été les transports, les télécommunications, les services postaux, les banques, les mines, la métallurgie et les ports. Les mobilisations ont été les plus fortes dans les villes, dans les États les plus politisés, en particulier au Kérala où, malgré les menaces dissuasives du gouvernement de diminuer les salaires des grévistes, la mobilisation a été quasiment totale. Dans le reste de l’Inde, de nombreuses pressions ont été exercées pour dissuader les grévistes, menace de suppression de la retraite, d’abaissements de salaires et nombreuses arrestations de fait.

Cette grève générale a été un événement phénoménal mais a été relativisée par les autorités dont les moyens radicaux de dissuasion ont assez bien fonctionné ! Sans savoir, à l’heure actuelle, si cette grève a poussé le Gouvernement Central à prendre des mesures répondant aux revendications, l’ampleur de ce mouvement a clairement démontré que la mondialisation frappe de la même manière les travailleurs du monde entier.

 

Un exemple d’État socialiste, modèle de développement humain, en lutte contre la mondialisation : le Kerala
Le Kérala, modèle de développement humain, et modèle de développement durable

Le Kérala, État traditionnellement socialiste, avec une garantie alimentaire, énergétique (hydraulique et éolien), des services publics (éducation, santé, transports) efficaces de haute qualité garantissant le respect des droits fondamentaux, un niveau de culture élevé, des droits sociaux acquis et préservés (grâce à un fort taux de syndicalisation), une organisation égalitaire de la société, avec une redistribution des richesses et un droit de subsistance garanti à chacun ainsi qu’une participation active de tous les citoyens dans les décisions et la gestion des affaires grâce à un système depuis longtemps établi de démocratie participative, est un exemple d’organisation sociétale : son IDH (Indice de Développement Humain) est de loin le plus élevé de tous les États indiens, estimé à 0,775 (en comparaison : Inde 0,547, France 0,884, en baisse) ; de plus, son empreinte écologique est faible (peu d’industries). Le Kérala, alliant donc indicateur économique (PIB) modéré, empreinte écologique très raisonnable et indicateur de développement social (IDH) de haut niveau, apparaît être un exemple de développement durable à reproduire. En effet, là est le dilemme pour les partis politiques en place : doivent-ils suivre la logique de croissance à tout prix, ce qui implique l’acceptation des règles néolibérales, et un fort impact sur l’environnement, ou plutôt se contenter d’une croissance modérée en privilégiant qualité de vie et préservation de l’environnement ? Loin de subir leur sort, les Kéralais font eux-mêmes leur choix ; ils sont intellectuellement armés pour se sentir et être acteurs de leur vie et de leurs conditions de vie ; leur organisation sociétale le leur permet ; n’est-ce pas là que résident leur dignité, leur fierté et tout simplement leur bonheur ?

Ils ont à affronter beaucoup de problèmes, bien sûr, chômage élevé (25%), (mais pourquoi ne pas partager le travail existant ?), émigration vers les pays du Golfe, surexploitation menaçante des sols et début d’ appauvrissement des eaux côtières, tentatives d’exploitation de minerais et de déforestation, mais gageons que la société kéralaise saura juguler les assauts intéressés et immoraux du capitalisme mondialisé pour préserver sa qualité de vie et son indépendance, contrairement à ce qui se passe ailleurs en Inde ou dans le monde, par exemple quand des dizaines de milliers de paysans indiens pris au piège de la mondialisation se suicident en ingérant les pesticides qu’ils ont achetés à Monsanto en même temps que ses semences OGM et qu’ils ne peuvent plus rembourser !

Alors que le socialisme est aujourd’hui violemment critiqué par la droite capitaliste, bien sûr, car contraire à ses intérêts, mais aussi souvent plus largement, perçu comme un déni de liberté individuelle, une emprise de l’État Providence sur des individus qui seraient passifs, le Kérala et ses habitants montrent le contraire ; ils démontrent qu’un socialisme démocratique et participatif est non seulement possible, mais efficace, qui garantit une société juste et égalitaire où les droits fondamentaux sont assurés et où chaque individu se sent responsable et agit effectivement sur sa propre vie et celle de sa communauté, ce système instituant ainsi un esprit de solidarité et de coopération entre les hommes ; ils démontrent que, devant les éventuelles tentations des gouvernements de céder au libéralisme, ils sont capables, en tant que citoyens, de réagir et de se révolter pour préserver leurs acquis sociaux, leur qualité de vie et leur environnement, capables s’il le faut de contrer ce qu’ils estiment inacceptable.

Cet esprit revendicatif qui les anime explique sans doute les alternances politiques qui ont eu lieu dès que les promesses ou les attentes n’étaient pas satisfaites, ou leur méfiance vis-à-vis du PC lui-même lorsque, par exemple, celui-ci s’est discrédité en se compromettant avec le marché mondial dans l’État du Bengale Occidental, autre fief du PC depuis 1977, où la volonté du gouvernement d’installer de grandes structures industrielles (voir les affaires TATA, WAL-MART, TESCO, CARREFOUR) a entraîné une révolte des habitants violemment réprimée par les autorités, ce qui a abouti à une défaite électorale totale du PCI dans cet État après plus de trente ans de gestion communiste. Au Kérala, les acquis sociaux sont solidement ancrés et un gouvernement qui tenterait d’y toucher, verrait le risque d’une réaction immédiate des syndicats et une révolte massive du peuple.

Lorsqu’on est au Kérala, on ne voit pas de richesse extérieure, mais on n’y voit pas de misère, contrairement à l’Inde en général ; on ressent une dignité, une ouverture d’esprit et une joie de vivre particulière chez ses habitants ; on n’y voit pas de mendiant, on voit les gamins monter gaiement dans les bus le matin pour aller à l’école, on peut s’y faire offrir une rose par une petite écolière, on peut discuter de micro-finance (avec ses dérives) et du prix Nobel d’économie indien avec sa voisine de bus en sari, on est surpris de voir autant de mosquées ou d’églises que de temples hindous (la religion y tient une moindre importance et on sait que tous se côtoient dans la plus grande tolérance)…et on espère finalement que le capitalisme mondialisé et ses effets destructeurs n’atteindront jamais le bien-être de ce peuple cultivé, volontaire, solidaire et libre, ni jamais ne défigureront leur si bel environnement.

Partout dans le monde une conscience collective se lève, contre l’oppression, contre des conditions de travail inadmissibles, contre l’exploitation des êtres humains et celle, désastreuse pour l’environnement, de la terre ; des hommes et des femmes luttent, à leurs risques et périls, bien souvent, contre les pouvoirs en place, contre les multinationales de toutes sortes qui font fi de toute morale humaine et environnementale ; des « indignés », partout, clament leur refus de ce monde insensé de la finance, de la spéculation, de la compétitivité, du profit à tout prix, à court terme, qui fait basculer les pays dans la pauvreté et la dépendance aux banquiers et aux spéculateurs ; ils rêvent et dessinent un monde totalement différent, non pas axé sur un consumérisme individuel forcené, mais basé sur la solidarité, la justice, le partage, l’entraide entre les pays, le respect de l’autre, le respect de la terre et de la biodiversité…ne faisons pas que rêver, coordonnons toutes ces luttes pour que soit exigée l’application de règles internationales qui feront que l’inadmissible ne soit plus possible, afin qu’enfin, le monde dont nous rêvons soit une réalité.

Anny Fradin, docteure en Biologie, Université de Paris Sud.

« Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière asséchée, le dernier poisson pêché, l’homme va s’apercevoir que l’argent, ça ne se mange pas ! » Proverbe d’un chef indien d’Amérique.


 

Extrait d'un article de Guillaume Suing 

 

Le gouvernement communiste du Kerala, petit Etat du sud-ouest de la fédération indienne, vient de couronner par le lancement du label « Kerala Organic », les succès de sa politique volontariste en matière d’agroécologie: L’objectif est de passer à une production agricole 100% bio à l’horizon 2020. Avec 100 000 tonnes de produits bio annuels, la moitié du chemin semble déjà parcouru. Mais ce n’est pas tout : la diversification de la production agricole, propre à développer une véritable autosuffisance alimentaire, a déjà transformé le pays. La rupture avec le modèle de monoculture intensive dépendante, avec ses survivances féodales, semble bien engagée et « durable » (puisqu’agroécologique), et les principes politiques du gouvernement n’y sont certainement pas étrangers.

Le Kerala, gouverné par les communistes depuis 1957, présente sur cette voie agricole durable, certaines similitudes avec la révolution agroécologique cubaine, dont il est inutile de rappeler les incontestables succès et le leadership en la matière depuis les années 90 : Le peuple kéralais est le plus instruit de tous les peuples indiens, le système scolaire et universitaire rivalise en performance avec celui de Cuba et l’IDH (Indice de Développement Humain) combinant les indicateurs économiques, scolaires et sanitaires, compte parmi les plus élevés des pays en voie de développement, … comme à Cuba.

C’est en particulier le développement du KAU (Université Agricole du Kérala) qui détermine les avancées décisives en agroécologie, par l’investissement gouvernemental dans la recherche agronomique et l’implantation de centres de formation partout dans les campagnes pour assister les paysans impliqués dans le processus. Les stations de recherche de l’IFSRS sur les « systèmes agronomiques intégrés » (coopératives de polyculture bio et agroforestières) jouent également un rôle déterminant en enseignant des rudiments de permaculture à la population notamment urbaine (à l’image des « organoponicos » urbains et périurbains qui font la fierté de Cuba).

Mais il faut aussi souligner que l’histoire et l’économie du Kérala ne permettent pas des avancées aussi spectaculaires qu’à Cuba. Le parti communiste kéralais, issu du mouvement maoiste, est l’un des plus importants du continent. Cependant, par la seule voie des urnes et dans le contexte spécifique qui est celui d’une lutte anti-impérialiste sous la forme d’un front politique hétérogène, marqué par plusieurs alternances, il n’a pas transformé de fond en comble la société. Il n’a pu que la gouverner et la réformer progressivement, en particulier en faveur de la paysannerie qui lui reste fidèle jusqu’aujourd’hui, plusieurs décennies après la réforme agraire anti-féodale / anti-coloniale dont elle a bénéficié. Il n’y a pas eu au Kérala de collectivisation de l’agriculture et la propriété de la terre n’est pas acquise à un pouvoir central et populaire susceptible d’impulser partout au même rythme une grande transition du modèle agricole comme c’est actuellement le cas à Cuba.

Le Kérala qui s’inscrit dans une fédération indienne politiquement hétéroclite, ne dispose pas de la marge de manœuvre d’un Etat socialiste dit classique. Ses succès récents en matière de « bio » sont évidemment liés à une volonté politique de souveraineté populaire à caractère anti-impérialiste (et donc d’autosuffisance alimentaire durable, respectueuse des sols sur le long terme), et à une capacité d’investissement planifié dont sont incapables les gouvernements capitalistes ou dépendants rétifs aux politiques de « long terme ». Mais il y manque encore la dimension nationale qui caractérise les expériences de socialisme réel au vingtième siècle.

Les prix du « bio », qui à Cuba sont fixes, sont ici plus couteux (même si le gouvernement achète les productions à des prix préférentiels), ce qui n’est pas compatible avec une perspective « durable » comme celle que l’ONU reconnait à Cuba. Même si le gouvernement kéralais subventionne abondamment les plantations qui se lancent sur cette voie, tout le territoire n’est pas encore concerné et la législation n’a évidemment pas atteint le stade d’une interdiction pure et simple des pesticides comme à Cuba.

D’une certaine façon les limites rencontrées par le Kérala sur la voie du bio, bien que son gouvernement ait depuis des décennies une tonalité communiste (mais sans structure socialiste au niveau des rapports de production) et malgré les premiers succès qu’ils enregistrent actuellement, souligne par la négative pourquoi Cuba devance tous les pays du sud en matière d’agroécologie depuis les années 90, y compris les pays de l’ex-camp socialiste.

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