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JRCF

La chute du mur de Berlin : acte II (Crise sanitaire, financière et économique)

Nous invitons nos lecteurs à lire la suite de l'article de Victor S. sur la crise actuelle, la précédente partie se trouvant ici.

Des quatre aspects de la crise

 

Précisons-le d’emblée : il ne s’agit pas de quatre crises distinctes, mais de quatre aspects de la même crise. Il faut la penser dans son unicité, sinon on retombe au niveau du formalisme de l’entendement bourgeois, lequel se retrouve in fine impuissant à comprendre le phénomène de la crise, car il ne comprend pas que les lois qui régissent son activité sont soumises à condition. Cette crise est l’aboutissement de la non-résolution de la crise de 2008. Mais chaque niveau de la crise reproduit les précédents, mais à un degré de contradiction plus fort. Ce qui fait que la crise actuelle n’en est pas la répétition, mais l’aggravation. Le monde a beaucoup trop changé depuis 2008 pour que les mécanismes de défense du capitalisme qui ont servi à l’époque puissent être réexploités tels quels.

 

 

 

I – La crise sanitaire

 

Premièrement, la plus visible aujourd’hui, la crise sanitaire dû au Covid-19. Il est encore trop tôt pour en tirer toutes les conséquences, mais il est déjà certain qu’elle acte définitivement la bascule d’un monde. Cette crise révèle l’incurie des démocraties libérales à faire face à ces périodes d’urgence, et au contraire la grande capacité des régimes autoritaires et à État fort (avec une composante sociale) à résoudre et à traiter ces problèmes[1]. Nul doute que le monde saura tirer les conclusions qui s’imposent sur cette différence de traitement d’un même phénomène sanitaire.

En effet, la Chine a très tôt pris des mesures fortes et drastiques pour limiter les effets de ce virus encore inconnu et très dangereux. Avec quelques dizaines de cas, les autorités ont immédiatement décidé de mettre en quarantaine des régions entières et très peuplés, n’ayant aucune crainte sur les conséquences économiques de cette décision salutaire. Or, c’est le contraire qui s’est passé dans nos contrées : le président Macron a timidement décidé de fermer seulement les écoles, après que le nombre de cas (déclarés) ait franchit la barre des 2000. Les élections municipales ont été maintenues de façon absurde et contradictoire, les salariés sont simplement « incités » à rester chez eux, sans aucune obligation, et la question des transports est pour l’instant traitée de façon plus que tiède. Le confinement n’a été décidé que fort tard, et il n’est à l’heure actuelle toujours pas total, le gouvernement préférant risquer la santé des travailleurs plutôt que de prendre le risque de trop ralentir l’activité économique.

Car le pire est que rien n’est organisé en Europe et aux États-Unis pour gérer de façon collective le confinement. La Chine a su mettre en place de véritables interdictions de se déplacer ou de sortir de chez soi, en organisant la distribution de médicaments et de nourriture chez ceux qui étaient confinés. Or qu’ont fait la France et les USA ? Tout le contraire. Les personnes âgées sont incitées par le gouvernement français à « aller eux-mêmes faire leurs courses », et le gouvernement américain a même incité ces mêmes personnes vulnérables à « aller faire des provisions et des réserves », créant de façon irresponsable des risques de pénurie[2] ! Et que dire de la casse de l’hôpital public et de la recherche médicale depuis 30 ans par nos gouvernements successifs ? Les risques sont bien réels, et l’Italie avait montré l’ampleur du problème par avance, sans que cela ait outre mesure inquiété les autorités françaises. C’est la faillite objective du désengagement de l’État, qui oblige Macron à déclarer (sans que personne ne le croie) que « la santé n’est pas une marchandise » ! Tous les discours s’effondrent devant la panique, et ils ne savent pas par quoi les remplacer.

Le comble est atteint par le renversement de l’aide humanitaire. Il y a 20 ans, nombreux étaient les européens à se moquer des chinois, les considérant comme des arriérés sous-développés. Sauf qu’aujourd’hui, c’est eux qui nous donnent des leçons. Cuba socialiste est à la pointe de la recherche contre le virus[3]. L’Italie appelle la Chine à l’aide pour avoir une aide médicale, des experts et du matériel pour l’aider à soigner ces patients[4]. Les assurances médicales américaines avaient initialement refusé de rembourser les tests pour dépister le virus, faisant ainsi craindre une explosion incontrôlée de l’épidémie. La seule aide que les États-Unis avaient trouvée était celle d’un milliardaire chinois, qui va leur offrir « un million de masques de protection et 500000 kits de dépistage[5] ». L’État a fait faillite, la société civile a fait faillite, il ne reste plus qu’à se tourner vers la « générosité » de milliardaires chinois, ou vers l’aide de son gouvernement : quel retournement du monde brutal pour ceux qui se croyaient il y a encore peu au sommet de la pyramide du globe.

 

La façon dont le virus évoluera est aujourd’hui imprévisible. Ce que l’on peut en revanche d’ores et déjà annoncer, c’est que les états libéraux et sans puissance publique forte ont échoués à contenir la pandémie, et qu’ils échoueront encore plus encore à en gérer les conséquences. Leur absence totale de stratégie, leurs errements, leur incapacité à mobiliser l’ensemble des fonctionnaires sur lesquels ils ont crachés quotidiennement durant 40 ans deviennent visibles aux yeux de tous[6].

Pour conclure sur cette crise sanitaire, il est absolument primordial de ne pas minorer la dangerosité de ce virus, surtout que celui-ci est toujours capable de muter[7]. Sa dangerosité, et ce qu’il fait qu’il peut être comparé à la grippe espagnole de 1918 (causant près de 50 millions de morts, chiffres débattus mais qui donne un ordre de grandeur), tient au fait qu’il combine deux caractéristiques qui sont rarement réunis à un tel degré d’imbrication :

- Premièrement, il possède une grande période d’incubation (durée très variable, mais avec une période d’incubation d’entre 5 à 14 jours en moyenne), ce qui permet au « porteur sain » de contaminer beaucoup de personnes. Le problème est paradoxalement aggravé par le fait que le virus n’est pas aussi mortel qu’Ebola par exemple : entre 2,5 et 4,5 % pour le premier, et 50 % pour le second. Mais ce faible taux de mortalité a pour conséquence qu’il est très contagieux : si rien n’est fait, l’OMS estime que 60 % des habitants du monde pourraient être contaminés. Autre indication : l’Armée Française tablait sur un taux d’immobilisation allant jusqu’à 70 % de ses agents, et donc à fonctionner avec seulement 30 % de ses effectifs.

- Deuxièmement, contrairement à une grippe classique, qui se contente d’affaiblir le système immunitaire (et donc de causer la mort et des complications si et seulement si combinée avec d’autres pathologies), le virus du Covid-19 peut attaquer directement les organes respiratoires (dans seulement 15 % des cas pour l’instant, mais 15 % de 60-70 % de la population mondiale devient énorme….), pouvant causer la mort, des lésions irréversibles sur les poumons ou laissant le malade dans un état de rééducation respiratoire pendant au moins 6 mois. Certains malades morts présentent des trous dans les poumons, semblables à des nids d’abeilles[8]. C’est la conjonction de ces deux éléments qui rendent le virus aussi dangereux. Il ne faut bien sûr pas paniquer, mais minorer le problème en parlant d’une « grosse grippe » est au mieux stupide, au pire dangereux.

 

II – La crise économique et financière

 

Cette crise sanitaire accroît, mais ne crée pas, une crise économique qui couvait depuis longtemps, et qu’en réalité les marchés financiers attendaient. La manifestation la plus spectaculaire est simple : la pire journée de l’Histoire de la bourse de Paris a eut lieu jeudi 12 mars[9]. Et la réponse de la BCE de baisser les taux d’intérêt est totalement inutile, puisque ceux-ci étaient déjà proches de zéro. Bien entendu, les ralentissements de l’activité dus au virus seront énormes, et cela ne manquera pas d’accentuer les contradictions des capitalistes. Mais il ne s’agit là que d’un révélateur, certes essentielle, mais qui vient appuyer sur la pédale au bon moment[10].

En effet, depuis les années 90, les États et banques centrales assurent tous les risques des grosses entreprises cotées en Bourse, et épongent toutes les pertes boursières. On l’a vu en 1993, on l’a vu encore plus en 2008, et on le verra encore plus cette année. Sauf que les contradictions se reproduisent à un niveau supérieur, et les pertes ne seront pas épongeables cette fois-là.

 

Car il est un concept étrangement oublié aujourd’hui à gauche, même si Marx le considérait comme la pierre de touche de toute sa critique de l’économie politique : la baisse tendancielle du taux de profit, exposé dans l’aujourd’hui oublié livre III du Capital. Ce concept n’a pourtant jamais été démenti, et reste aujourd’hui plus que jamais indispensable pour bien saisir ce qui se joue. Pour le résumer en non-spécialiste, le capital est, tendanciellement, condamné à voir son taux de profit baisser, à moins qu’il ne corrige cette baisse structurelle par une action dans la lutte des classes[11]. Cela signifie que la guerre que mènent les capitalistes contre les prolétaires, n’a pas un fondement seulement psychologique comme la cupidité : dans ce cas-là, s’il s’agissait simplement de cupidité ou d’avidité, on pourrait « négocier » avec eux, et temporiser le jeu (c’est la racine de l’illusion réformiste, sociale-démocrate ou même purement opportuniste). Si cette guerre a lieu, c’est parce qu’il s’agit d’une nécessité inhérente à la classe capitaliste elle-même. Chaque capitaliste cherche individuellement à maximiser son taux de profit (comptable), et pour cela a besoin d’investir dans des outils techniques plus productifs. Individuellement, il est gagnant, et n’a pas le choix, sinon il disparaît du marché. Sauf que d’un point de vue global, cela diminue la productivité du travail par rapport à celle du capital investi : une heure de travail demande plus de « travail mort » (et donc improductif) qu’auparavant, et donc produit moins de profit (ce qui ne veut pas dire qu’elle produise moins de valeur, au contraire). Et cela est fatal à la classe des capitalistes toute entière : en investissant sur du capital dit « productif », cela diminue relativement le poids du travail vivant[12].

C’est ce qui explique que la classe capitaliste tende toujours à vouloir exploiter plus les travailleurs : les récents exemples de la destruction par Macron et l’UE de l’assurance-chômage, de celle des retraites, et de la destruction programmée de la Sécurité Sociale. Or, cette agressivité de la bourgeoisie tant nationale que trans-nationale, cache en réalité ses faiblesses fondamentales : elle doit coûte que coûte briser les résistances des travailleurs, sinon ce taux de profit baissera effectivement. Cela explique aussi l’agressivité de l’impérialisme actuel, et sa nécessité pour cette classe : il faut trouver de nouveaux marchés à conquérir, et briser une concurrence potentielle. Sauf que ces nouveaux marchés se font de plus en plus rares, et que l’impérialisme est de plus en plus mis en échec de par le monde.

 

De plus l’accès aux ressources naturelles est primordial pour tout mode de production[13]. Et là, le bât blesse aujourd’hui terriblement pour le capitalisme. Premièrement, il est impuissant à enrayer l’inexorable raréfaction des ressources naturelles[14] que cause leur exploitation. Le coût d’accès à ces ressources se renchérit, et donc accentue le problème de la baisse tendancielle du taux de profit. Deuxièmement, du fait conjoint de la baisse tendancielle du taux de profit et de la lutte contre le communisme, le capitalisme a depuis 50-60 ans fait le choix de ne pas investir sur la recherche de nouvelles sources d’énergie. Car ces investissements, au contraire de ceux qui améliorent les outils qui utilisent les sources d’énergie que nous utilisons déjà, sont extrêmement coûteux, et aucun État capitaliste n’a eu les moyens d’accomplir ces immenses investissements, pourtant aujourd’hui nécessaires. Ils n’en ont pas eu les moyens, et ils ne les auront plus, le retard pris est trop grand. La priorité est désormais d’assurer au jour le jour que le taux de profit ne baisse pas trop. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’au moment où la contradiction économique ne sera plus supportable.

 

Nous voyons bien par-là que le problème économique qui se pose au capitalisme est gigantesque, et qu’il n’a pour l’heure absolument pas les moyens d’enrayer le phénomène. D’où la stratégie permanente de la fuite en avant. Mais cela ne peut pas être éternel. Les capitalistes ne maîtrisent en réalité l’économie mondiale et la production que fort superficiellement, au point que la classe dite « dirigeante » ressemble de plus en plus à un avion sans pilote dans le cockpit, et qui navigue à vue.

Ces faiblesses seront bien entendu à exploiter, car comme le disait fort bien Mao, « les contradictions de nos adversaires sont notre base arrière ».

 

D’autant que les capitalistes prévoient eux-mêmes que les conséquences du confinement généralisé du coronavirus seront énormes, et inédites. Pour donner ce qui n’est qu’une indication, mais révélatrice, la FED se prépare à très court-terme à une explosion du chômage aux Etats-Unis (30 % de chômeurs) et à une diminution sans précédent du PIB (50%)[15]. Les effets en sont d’ailleurs déjà visibles[16]. Pour mémoire, le taux de chômage de la grande dépression des années 30 n’a jamais dépassé les 25 %. Dit en d’autres termes, par la voix de la FED, les capitalistes américains (et mondialisés) se préparent à affronter la pire crise de l’histoire du capitalisme[17]. Par ailleurs, le 20 avril 2020, la ministre du travail française a annoncé que 9,6 millions de salariés, soit presque un salarié du privé sur deux, étaient en chômage partiel ou total, avec aucune garantie sur les conditions de reprise de l’activité.  Ceci devrait donner la mesure des évènements que nous traversons.

 

(La suite demain)

 

Victor S.

 

[1]Sont donc exclus les régimes fascistes et fascisants, qui se révèlent incapables de gérer quoi que ce soit (cf. le Brésil)

[6]La façon dont l’Éducation Nationale a commencé à gérer le confinement est à cet égard emblématique de toute une gestion de la puissance publique. Non-information des agents devants répondre aux questions d’élèves angoissés, consignes floues ou contradictoires, etc. Le sommet est atteint dans la « forte incitation » initiale faite aux enseignants de venir dans des établissements vides pour y « travailler ». Pour y faire quoi répondra-on, à part des visioconférences dans des salles vides, prendre des transports et risquer d’être contaminés ou de contaminer d’autres voyageurs, ou d’autres collègues ? La méfiance envers la prétendue « fainéantise » des fonctionnaires pousse donc ce gouvernement à ignorer les règles élémentaires de logique de gestion d’une épidémie. Méfiance qui concerne en réalité la totalité de la fonction publique et de tous les travailleurs.

[10]Pour quelques chiffres et analyses : https://www.youtube.com/watch?v=hNKJdSGpa1A

[11]C’est la raison pour laquelle aucune observation empirique à partir de graphiques n’a jamais pu infirmer cette thèse : si le taux de profit ne baisse pas continuellement, c’est que les capitalistes corrigent cela par la lutte des classes. Prétendre le contraire, sans le démontrer à partir de l’Histoire concrète de la lutte des classes, a le même degré de sérieux scientifique que de prétendre réfuter la loi de la chute des corps, car les objets qui reposent sur le sol sont immobiles. Par ailleurs, on voit bien là que le marxisme se soumet tout à fait à la critique intellectuelle, et peut même être théoriquement réfuté : il faudrait pour cela montrer que le taux de profit ne baisse pas, sans aucune action de la classe possédante. Ce qu’aucun économiste ou historien bourgeois n’a à notre connaissance réussie à faire.

[13]Cf. Marx, Critique du Programme de Gotha : « Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage (et ce sont bien elles de fait qui constituent de fait la richesse ?) que le travail, qui n’est lui-même que l’expression d’une force naturelle, la force de travail humaine ». Nul écologisme naturaliste malthusien ici donc, mais une analyse matérialiste de la nature.

[14]Précision importante : des ressources naturelles que nous pouvons actuellement utiliser pour notre production. Par exemple, le pétrole a pendant longtemps été une ressource naturelle inutilisable à des fins productives.

[17]Celle-ci a déjà revu à la hausse ses estimations de chômage : 32 %. https://www.cnbc.com/2020/04/05/bullard-economy-not-in-free-fall-despite-32percent-unemployment-estimate.html

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