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JRCF

Dat veniam corvis, vexat censura columbas : la justice de classe à Paris d’Ibis Batignolles à Éric Zemmour

 

Les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles (Paris, 17ème arrondissement), dont le PRCF et les JRCF continuent de soutenir la longue lutte pour l’internalisation et l’amélioration des conditions de travail, ont depuis quelques mois vu leur tâche se compliquer à cause d’une décision du tribunal administratif de Paris. En effet, une ordonnance administrative proscrit aux grévistes d’élever la voix à plus de 50 décibels devant l’hôtel (ce qui correspond à une conversation à volume normal entre 10 personnes) et interdit même tout jet de confetti qui pourrait dégrader temporairement le parvis de l’hôtel. Le PRCF avait dénoncé, lorsqu’elle avait été rendue, cette décision qui caractérise selon nous à merveille l’état de la justice dans un Etat capitaliste. Comme Lénine l’a écrit dans l’Etat et la révolution, l’Etat dans un mode de production capitaliste n’est que l’appareil répressif utilisé par la bourgeoisie pour mater le prolétariat. Lorsque des travailleuses se contentent, sans violence ni agressivité, de revendiquer des conditions de travail acceptables, lorsqu’elles osent s’opposer à un groupe hôtelier aussi puissant qu’ACCOR et dénoncer l’hypocrisie de la sous-traitance de STN, elles sont impitoyablement sommées de se taire. 

https://www.lefigaro.fr/social/paris-a-l-ibis-clichy-batignolles-les-femmes-de-chambre-en-greve-depuis-un-mois-20190817

Le paradoxe du capitalisme est là : sans ces femmes, aucun hôtel ne pourrait tourner, aucun bourgeois ne pourrait vivre confortablement dans un cloaque qui ne serait pas nettoyé, mais il faut que ce travail soit effectué docilement, en silence et surtout discrètement. Il est doux pour le bourgeois de jouir confortablement des efforts des travailleurs tout en oubliant qu’ils existent. Quand le tribunal de Paris donne raison à la direction d’Ibis Batignolles, outre la solidarité interpersonnelle entre gens bien nés, il faut donc voir une véritable solidarité de classe, solidarité bourgeoise qui n’hésite pas à contredire quand le besoin s’en fait sentir la norme fondamentale de notre édifice juridique, la Constitution de la Ve République française. Le préambule de la Constitution de 1946, qu’elle reprend, n’avait-il pas en effet garanti le droit de grève en son article 7, lequel dispose que « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. » Certes, comme l’a analysé Karl Marx dans son 18 brumaire, c’est précisément dans cette dichotomie entre proclamation de droits généraux et limite législative que se faufile la filouterie bourgeoise : si les droits fondamentaux sont censés être les mêmes pour tous, leur exercice n’est garanti que dans la mesure où il ne gène pas la dictature de la bourgeoisie et du capital. Et les fameuses bornes posées par la loi ne servent qu’à garantir la libre exploitation d’une classe par une autre. 

Extrait : « L'inévitable état-major des libertés de 1848 (liberté personnelle, liberté de presse, de parole, d'association, de réunion etc) reçut un uniforme constitutionnel qui le rendait invulnérable. Chacune de ces libertés fut proclamée comme un droit inconditionnel du citoyen français, accompagnée constamment d'une annotation à la marge disant qu'elles étaient illimitées seulement dans la mesure où elles n'étaient pas limitées par des droits égaux d'autrui et par la sûreté publique ou par des lois précises. [...] Et par la suite, les lois organiques ont été promulguées par les amis de l'ordre et toutes ces libertés réglementées de telle façon que la bourgeoisie, en en jouissant, ne se formalise pas des droits égaux des autres classes. Chaque fois que ceux-ci interdisent catégoriquement ces libertés aux autres ou n'en permettent la jouissance que sur des conditions qui sont autant de pièges policiers, ils ne le font jamais que dans l'intérêt de la sûreté publique, c'est à dire de la sûreté de la bourgeoisie, ainsi que le prescrit la Constitution. » Karl Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852) 

 

Malgré tout, de mémoire de syndicaliste, on n’avait jamais vu une répression aussi draconienne de l’exercice du droit de grève en France au XXIème siècle. La marge de manœuvre législative et réglementaire que s’est laissée la bourgeoisie tend donc de plus en plus vers une impunité totale de la bourgeoisie capitaliste et vers une répression, parallèlement de plus en plus stricte, du mouvement syndical et des travailleurs en général. On peut y voir la marque d’un contexte de fascisation de plus en plus préoccupant contre lequel le PRCF et les JRCF n’ont cessé d’appeler à la vigilance et à l’action : celui de la criminalisation du socialisme réel et de ses symboles par le Parlement européen qui assimile le communisme au nazisme malgré Stalingrad, celui d’une impunité de la police dans sa répression du mouvement des Gilets Jaunes, celui où des militants syndicaux sont pourchassés pour le simple exercice de leur fonction, celui où tout manifestant peut désormais être photographié à son insu dans la rue pour rejoindre les bases de données de la police et du renseignement. Alors que les travailleurs de France combattent actuellement un projet antisocial de contre-réforme des retraites piloté par l’UE, l’état de la situation ne doit pas être négligé. Nous sommes désormais à un pas du fascisme, qu’il se révèle sous les traits d’un Macron qui se défausse peu à peu de toutes les niaiseries libérales clintoniennes qui l’avaient fait triompher pour ne laisser apparaître que la froide défense de la classe sociale dont il est le commis ou qu’il cède la place à Marion Maréchal-Le Pen, invitée à l’université d’été du MEDEF, qui ferait presque passer sa tante pour une modérée. Il faut toujours un Brüning pour préparer le terrain à un Hitler et c’est la IIIe République qui a facilité le travail de l’Etat français (que ses députés ont d’ailleurs mis en place) en réprimant férocement le Parti communiste. 

Dernière preuve en date de cette instrumentalisation de classe de la justice et de la fascisation à l’œuvre, la plainte déboutée de la ville de Grigny contre les propos diffamatoires du chroniqueur réactionnaire Éric Zemmour. Ce dernier avait en effet, sur BFM-TV, qualifié le quartier de la Grande Borne de zone de non-droit exogène au territoire de la République : « On a parlé de la Grande Borne à Grigny tout à l'heure. Qu'est-ce que c'est ? Ce n'est pas la France, c'est une contrée où l'on est plus en France, où il y a un régime étranger qui s'impose, où la police française ne rentre plus, où la loi de la République ne s'applique plus, et où l'on est sous une loi qui mélange la loi des caïds et la loi islamique. C'est ça la réalité aujourd'hui. » On pourrait juger dans un premier temps comique cette défense à géométrie variable de la République, que Zemmour rend habituellement responsable de tous les maux, vouant aux gémonies dans la droite ligne d’un Rosenberg l’héritage de 1789 et le socialisme. Mais plus fondamentalement, on voit surtout dans cet extrait une reprise in extenso des thématiques maurassiennes, avec l’idée d’une 5ème colonne devant bientôt submerger une France exsangue ; une cinquième colonne au sang impur qui n’agirait qu’au bénéfice de l’Etranger et dont l’objectif serait l’asservissement définitif d’une race française fantasmée. La délinquance et la rigueur théocratique islamique, peu important qu’elles soient inconciliables pourvu qu’elles fussent toutes deux le fait d’être ontologiquement orientaux à ses yeux, feraient désormais la loi à Grigny, dont la municipalité n’administrerait vraisemblablement plus rien. 

Le tribunal de Paris a justifié ce rejet par une erreur de forme. En effet, bien que la municipalité ait entendu invoquer la diffamation (prévue par la loi sur le droit de la presse de 1881), elle qualifie une fois dans sa plainte les propos de Zemmour d’injure. Or, les deux termes ne sont pas interchangeables et il faut choisir une des deux infractions pour qualifier la contravention. Toutefois, le tribunal de Paris ne se montre pas toujours si sourcilleux, et les deux chefs d’accusation auraient pu être invoqués en l’espèce. On a donc affaire à une dureté extrême envers des grévistes qui ne se comportaient pas différemment de ce qu’exige la loi, tandis que des propos d’un racisme crasse exercés à l’encontre à la fois d’une collectivité locale jugée impuissante et de ses habitants présentés comme des barbares. Le racisme décomplexé, pénalement répréhensible, peut bien s’exprimer tant qu’il est exprimé par un digne représentant de la bourgeoisie. Les luttes syndicales n’ont par contre droit à aucune erreur, aucune latitude d’action. C’est cela, la justice de classe. C’est cela, l’Etat de droit bourgeois. Une tragédie ou une farce, selon le point de vue.

Le libéralisme de Macron et de l’Union Européenne n’est pas l’ennemi des partis réactionnaires et xénophobes contre lesquels il assure faire figure de rempart. Notre président côtoie fort courtoisement la fameuse « Europe de Visegrad illibérale » au Conseil européen et n’a, comme nous l’avons vu plus haut, pas de leçon à lui donner en termes de violence de classe. De même, le tribunal de Paris n’a pas pour intérêt premier la défense de l’Etat de droit- cet Etat de droit dont notre président, dans un lapsus par définition non anodin, a déclaré en décembre dernier vouloir sortir- mais celle des intérêts de classe d’une certaine bourgeoisie de plus en plus virulente et fascisante. Les institutions républicaines, si elles n’ont jamais été libres de l’emprise du Capital et de la classe dominante, ne sont désormais plus que des armes aux mains d’hypocrites arbitraires, qui associent indissolublement intérêt général à défense de la bourgeoisie. 

Si dans le titre de l’article, nous citons le satiriste latin Juvénal, qu’avait avant nous invoqué Hugo dans ses fameuses Châtiments, ce n’est donc pas par pédanterie mal placée mais parce que cette locution illustre à merveille un état de fait incontestable. « La censure pardonne aux corbeaux et poursuit les colombes ». On pourchasse l’exploité, on blanchit l’exploiteur. On punit le vainqueur décisif de Stalingrad, on porte aux nues l’auteur du carnage inutile de Nagasaki. Espérons qu’à la faveur de la grande mobilisation des travailleurs dans la défense du droit à la retraite, la peur recommence à changer de camp et même, qui sait, que la coercition quitte les mains d’une classe pour rejoindre celles d’une autre. C’est en tout cas tout le sens de notre combat politique pour le socialisme. 

 

Shannon- JRCF

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