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Réflexion autour d’un projet populaire (JC du Chili)

19 juillet 2020

« Pour nous, la nuit noire de la dictature s’est achevée ». C’est ainsi que Gladys Marín annonçait à la fin du XXè siècle le retour à la légalité du Parti Communiste du Chili. Le référendum de 1989 a marqué un tournant important dans l’histoire moderne du pays, mais la démocratie tant espérée ne nous a rendu ni le récit ni les avancées accomplies après des décennies de construction et de luttes populaires.

Au début du XXIè siècle, après cette longue nuit noire, une grande partie du continent se maintenait dans un long hiver conservateur, institutionnalisé et légitimé au sein de démocraties représentatives, de petits Etats sous la grande influence des politiques économiques des États-Unis. À partir de la moitié des années 2000, nous avons vu les premiers signes de ce qui serait un réveil printanier pour l’Amérique latine. Les expériences du Venezuela, du Brésil, de l’Équateur et de la Bolivie ont non seulement mis en évidence les fissures profondes du système mais ils ont ouvert également les voies vers la rupture avec l’institution hégémonique installée par le sang et par le feu, après des décennies de dictatures et de processus d’approfondissement de modèles économiques ségrégationnistes.

Ces projets et ces processus contre-hégémoniques d’Amérique latine nous lèguent des apprentissages incontournables pour mettre en perspective le moment révolutionnaire que vit notre pays depuis le 18 octobre dernier. Un de ces apprentissages les plus remarquables est celui du développement de la conscience des différents éléments matériels qui déterminent la condition d’indignité et d’abandon où vit une grande partie du continent dans le but de transformer ensuite la réalité des grandes majorités.

Seule cette dialectique entre la mise en évidence des conditions matérielles d’indignité et le développement de la conscience collective critique – de classe – nous mènera à la nécessaire action pour rompre avec les abus systémiques et pour projeter une réelle alternative politique de gauche dans nos pays.

Embrasser l’horizon de la bataille

Ceux qui comprennent la réalité à travers le regard marxiste comprennent la relation dialectique entre le développement de la conscience critique et l’augmentation de la force transformatrice, ce qui nous amènera en pratique à aller d’une accumulation de problématiques vers la construction de projets populaires locaux, nationaux et régionaux. Pour y parvenir, il sera nécessaire, au-delà de la constatation des fissures du modèle, d’agiter les consciences, de comprendre les facteurs déterminants de l’obéissance de la population et de la légitimation du système par les classes subalternes (facteurs culturels, politiques et sociaux).

Le fait de nous assumer, au sein des institutions et des structures qui façonnent nos relations et nos dynamiques d’organisation comme l’État, doit nous pousser à reconnaître que le pouvoir existe et s’exerce et que, si nous ne nous battons pas pour lui et n’y prenons pas part, d’autres le feront puisque le pouvoir se doit d’exister. Nous devons nous proposer de casser le récit hégémonique des dominants, et en ce sens, le fait de projeter une bataille en vue d’obtenir le pouvoir local sera une étape déterminante.

Perdurer ou succomber

Ce n’est pas une tâche facile de court terme de dépasser les idées, les institutions et les modèles qui se sont installés depuis des décennies dans une société. C’est un objectif qui demandera de la constance, des forces accumulées et une augmentation significative de l’impact dans les espaces institutionnels et dans l’organisation populaire.

Dans le cadre des démocraties représentatives, les opposants ou adversaires à nos convictions et projets seront toujours là et, avec eux, la possibilité qu’ils retrouvent la gouvernance et les espaces de pouvoir. Il est donc nécessaire de prendre en compte le phénomène d’alternance du pouvoir politique, en acceptant que, aussi bien pour nous que pour eux, les projets politiques peuvent connaître des régressions. Nous ne sommes pas les seuls à apprendre, la droite apprend aussi. Elle s’organise également de manière collective et prend part aux questions populaires. Une foule d’exemples existent au Chili et sur le continent.

Par conséquent, les projets politiques couronnés de succès doivent s’imposer. La meilleure manière de réussir est de procéder à des transformations et que ces dernières soient incorporées dans le quotidien des communautés. Les victoires populaires et leurs nouvelles formes d’organisation doivent être gardées dans la mémoire collective pour qu’elles survivent à la furie revanchiste de l’alternance et qu’elles rendent possible la gestation de nouveaux processus futurs.

Pour la pérennité du projet, il sera fondamental de comprendre que les transformations sociales (élément objectif) auront toujours besoin de l’accord et de la volonté du peuple (élément subjectif), puisqu’elles font directement face aux intérêts du capital et de ceux qui représentent le pouvoir économique, c’est-à-dire ceux qui seront prêts à utiliser tous les outils à leur disposition pour arrêter et faire reculer ces processus transformateurs.

​​​​​​​Nos défis

Plus que jamais, nous avons besoin d’étudier, d’analyser et de transformer la réalité grâce aux outils que nous donne le marxisme en nous chargeant de la relation dialectique entre la réflexion intellectuelle et l’action gestatrice de changements. Ces deux qualités doivent se compléter, se nourrir et se matérialiser dans des expressions concrètes. Ainsi, il sera pertinent d’approfondir l’étude du léninisme comme base méthodologique pour achever ce travail, pour consigner les conditions objectives et subjectives du moment actuel, les objectifs généraux et particuliers ainsi que les étapes nécessaires pour passer du moment révolutionnaire actuel à un processus révolutionnaire qui débouche sur la construction d’une alternative populaire pour le Chili.

Le fait de reprendre et de promouvoir une praxis scientifique des tâches qui attendent notre jeunesse nous aidera à augmenter la qualité de notre travail et nous permettra dans la pratique même de mettre en évidence les obstacles qui se présentent sur le chemin de la construction d’un projet qui ait la capacité réelle de nous confronter aux discours hégémoniques et dominants. L’engagement, la réflexion et l’action sont des éléments indivisibles dans le travail militant et doivent nous amener inexorablement à l’exercice transformateur au sein même de la lutte et de l’organisation populaire.

En résumé, l’examen de la réalité matérielle (fissures et conséquences du modèle) et les subjectivités (discours et conscience collective) nous ouvrirons le chemin pour visualiser les potentiels de changement et les meilleures méthodes pour y parvenir. De cette manière, dans des moments de convulsions politiques, nous devons toujours nous positionner et nous représenter à partir du sentiment majoritaire de la classe travailleuse. Notre place sera dans l’organisation et dans la manifestation en convainquant, articulant et instruisant dans les perspectives d’un projet populaire.

La jeunesse et les partis de gauche devrons également prendre le relai de la construction collective et extirper l’autoritarisme des caudillismos, dépasser le sectarisme et éliminer une fois pour toutes la croyance qu’une gauche fermée, bureaucratique et illuminée sera capable de gouverner en représentant le peuple, mais sans le peuple. Nous, marxistes, savons bien que le peuple ne manque pas de conscience et a encore moins besoin « d’illumination » pour mettre en évidence les conséquences d’un modèle qui le fait souffrir quotidiennement. La question consiste dans les outils d’analyse de la réalité qu’ont à disposition les personnes et la force sociale accumulée pour faire avancer les processus (interprétation basée sur ce qu’elles vivent, croient, observent, sentent, etc.).

La lutte pour les symboles apparaît comme étant une autre composante à prendre en compte dans la lutte du sens commun, par exemple la lutte pour la dignité, pour la souveraineté latino-américaine, c’est-à-dire une lutte profondément patriotique.

​​​​​​​ NOUS NE DÉFENDONS PAS LE PEUPLE, NOUS SOMMES LE PEUPLE ET NOUS NOUS DÉFENDONS

La victoire populaire est toujours précédée d’une victoire culturelle. Les éléments qui nous aident à transformer le sens commun sont le résultat du travail des différentes générations qui, grâce à leurs luttes, ont permis la gestation des conditions actuelles :

  1. la prise de conscience des conséquences du modèle ;
  2. l’aggravation de la crise du modèle ;
  3. le renforcement de l’articulation sociale ;
  4. l’augmentation de la position de force du mouvement social et populaire.

Le changement de paradigme se construira dans cette perspective, avec l’urgence de l’indignité et la tranquillité rigoureuse qu’un futur est possible.

L’action solidaire dans les contextes de crise systémique a été historiquement un outil de lutte du sens commun. En termes simples et pour illustrer ce qui a été exposé précédemment, nous pouvons, grâce à ces actions :

  1. constater une condition matérielle (faim et chômage) ;
  2. mettre en évidence la crise du modèle (inégalités et intérêts entrepreneuriaux) ;
  3. générer une réponse matérielle (travail de mise en commun, réseaux de confiance et appui sur les territoires, etc.) ;
  4. faire reculer le discours hégémonique (individualisme néolibéral) ;
  5. étendre et promouvoir le discours alternatif : Le peuple aide le peuple / La jeunesse se lève / Nous nous organisons pour vaincre.

L’accès au pouvoir sera accompagné de la défaite du discours hégémonique dominant et de l’instauration d’un discours alternatif. Cependant, si nous perdons les réseaux avec lesquels nous menons ce travail, l’hégémonie sera facilement déstabilisée. Nous avons donc besoin de la construction de réseaux larges qui luttent pour le sens commun et qui rendent ce dernier hégémonique, tout en fournissant des certitudes et des alternatives à la population.

Daniel Jadue a pu s’ériger en tant que politique le plus estimé de la gauche au Chili, justement de par son expérience et la concrétisation d’un projet qui a bien transformé la vie de tous ceux qui vivent quotidiennement l’exclusion et la misère. L’incertitude apporte la vulnérabilité et la soumission, c’est pour cela que tout projet de gauche doit être capable d’apporter des certitudes à la population, en proposant des changements structurels et concrets qui transformeront à leur tour l’idéologie dominante. Un projet couronné de succès est un projet qui conjugue de la même manière les attentes (parvenir à quelque chose de différent) et l’espérance (ce qui est concret, par exemple la commune de Recoleta*).

La gauche devra choisir avec grand soin ses tranchées et ses batailles car ces décisions stratégiques seront celles qui apporteront la victoire. Seul un peuple conscient de sa réalité et des conditions nécessaires pour la transformer défendra et participera à un processus révolutionnaire, devenu aujourd’hui plus qu’urgent.

Magdalena Paredes Yañez, Comité Central du Parti Communiste du Chili

Ricardo Díaz Miranda, Commission Relations Internationales du Parti Communiste du Chili

 

* Note de traduction : la commune de Recoleta est gouvernée par Daniel Jadue, du Parti Communiste du Chili, depuis 2012, réélu en 2016.

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