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Loïc Chaigneau : Surdoué, douance, Zèbre : Le nouveau cache-sexe du racisme de l’intelligence. (2)

  1. Le nouveau racisme de l’intelligence.

 

 

  Dans ses Questions de sociologie, en 1980, Pierre Bourdieu, devenu depuis l’auteur de la critique institutionnelle, relevé néanmoins à juste titre un problème dont nous pouvons constater plus encore aujourd’hui l’étendu. Nous tenterons par la suite de développer plus longuement  ce processus, au sortir du positivisme.

  En attendant, Bourdieu écrivait : « Cela dit, je pense qu'il faut purement et simplement récuser le problème, dans lequel se sont laissés enfermer les psychologues, des fondements biologiques ou sociaux de l'«intelligence». Et, plutôt que de tenter de trancher scientifiquement la question, essayer de faire la science de la question elle-même; tenter d'analyser les conditions sociales de l'apparition de cette sorte d'interrogation et du racisme de classe, qu'elle introduit. En fait, le discours du G.R.E.C.E n'est que la forme limite des discours que tiennent depuis des années certaines associations d'anciens élèves de grandes écoles, propos de chefs qui se sentent fondés en «intelligence» et qui dominent une société fondée sur une discrimination à base d'«intelligence», c'est-à-dire fondée sur ce que mesure le système scolaire sous le nom d'intelligence. Le classement scolaire est un classement social euphémisé, donc naturalisé, absolutisé, un classement social qui a déjà subi une censure, donc une alchimie, une transmutation tendant à transformer les différences de classe en différences d'«intelligence», de «don », c'est-à-dire en différences de nature. Jamais les religions n'avaient fait aussi bien.»

et d’ajouter, tout aussi justement : « On est toujours prêt à stigmatiser le stigmatiseur, à dénoncer le racisme élémentaire, «vulgaire», du ressentiment petit-bourgeois. Mais c'est trop facile. Nous devons jouer les arroseurs arrosés et nous demander que1le est la contribution que les intellectuels apportent au racisme de l'intelligence. Il serait bon d'étudier .le rôle des médecins dans la médicalisation, c'est-à-dire la naturalisation, des différences sociales, des stigmates sociaux, et le rôle des psychologues, des psychiatres et des psychanalystes dans la production des euphémismes qui permettent de désigner les fils de sous-prolétaires ou d'émigrés de telle manière que les cas sociaux deviennent des cas psychologiques, les déficiences sociales, des déficiences mentales etc »

 

  Voilà en somme le vrai visage de ce phénomène de mode vers lequel tendent les tests d’une prétendue douance : une stigmatisation sociale, qui préfère la psychologisation à toute compréhension sociale et humaine dans sa totalité.

  Dans le même temps, et à l’encontre de la grammaire générative du pourtant progressiste Noam Chomsky, les chercheurs en neurosciences et psychologie tendent plutôt aujourd’hui à s’accorder sur les hypothèses de Piaget. Ce qui s’y défend, c’est un apprentissage au « sens fort » déjà soutenu à l’époque par Pullum et Scholz, critiques de Chomsky, dont les travaux montre que l’enfant apprend essentiellement à partir de son milieu.  Cela coïncide d’autant plus avec la prématuration générique de l’Homme[1] qui fait de cette espèce la plus sensiblement tournée vers autrui par nécessité. En tenant compte de cela, il apparaît comme évident que le milieu social ainsi que la richesse du vocabulaire qui va de paire avec une pensée correctement articulée[2], vont plus ou moins favoriser le développement d’aptitude chez un enfant plutôt qu’un autre. Ce qui relève du déterminisme social va ensuite être mystifier par un imaginaire du « don », rendant acceptable un racisme réel qui ne dit pas son nom et ose se prétendre scientifique.  Ce qui relève alors du mépris social se voit totalement accepté à partir de tests qui s’auto-valident en terme d’objectivité.. La première question à se poser dès lors est déjà de savoir si une famille moyenne de sous-prolétaires a le temps disponible pour tenter d’évaluer correctement si son enfant est à même de développer de fortes aptitudes intellectuelles ? En effet, car il n’en va pas de même pour elle que pourune famille de classe sociale aisée ayant les capacités de se dégager du temps avec ses enfants en leur faisant pratiquer des activités d’éveil (bien souvent hors de prix). Puis dans un second temps, la visite d’un psychologue, la pratique de ces tests etc. relève elle aussi belle et bien d’une pratique de classe et à moins que certains professeurs insistent dans l’environnement scolaire, il n’est pas rare que pour des questions de mœurs et d’argent, aucune famille de classe populaire ne franchisse un tel lieu a priori « pas fait pour eux ».

  Nous constatons par ailleurs aisément que les tests et notamment celui du Q.I sont en parfaite corrélation avec le niveau d’étude moyen[3]. Serait-ce à dire qu’en permettant au plus grands nombres de poursuivre des études plus longues, le résultat global des tests de Q.I augmenterait ? Nous pourrions croire sinon que ce sont justement les personnes ayant un Q.I le plus élevés qui accèdent à ces études, mais là-encore ce n’est pas le cas. En réalité, l’habitude, la maniement de certains exercices, le développement d’aptitudes psychiques augmente tout simplement le score, à la manière dont n’importe quel musicien ou sportif voit ses performances s’améliorer au fur et à mesure qu’il s’entraîne.  Mais si la ligne de départ (la famille) et le chemin en milieu de course (l’école) ne s’avèrent pas identiques pour tous, comment juger de quelque chose dont on nous laisse croire qu’il intervient comme une instance supérieure, comme par miracle ?

 

  1. Idéalisme de la praxis : vers le meilleur des mondes ?

 

  Plus grave encore, ces tests réservés à quelques-uns et qui n’opèrent aucune effectivité concrète dans la vie de l’individu, s’inscrivent en toile de fond d’une anthropologie qui caractérise notre mode de production. En effet, la douance c’est la possibilité de jouir, non sans entrave, mais sans produire. L’attestation psychologique d’une « douance »   est la reconnaissance d’un possible production qui n’a pas nécessaire à être : en bref, on attribue un mérite à une personne,  qui lui octroie une reconnaissance en tant que surdoué, zèbre ou quoi que ce soit, sans que cela ne l’incite à ne rien faire de ce potentiel a priori. En revanche, qui dit « surdoué » ou « haut potentiel », dit aussi simples « doués » et pire, « sous-doués ». Ceux-là, n’ayant pas eu la chance d’être touchés par la grâce se verront alors diriger vers des cursus où l’objectif ne consistera qu’à les faire rentrer dans le rang. Ne nous voilons pas la face, alors que des enseignes (plus que des écoles) comme Science po s’avèrent n’être que la figure de proue d’une petite élite à même de se payer des frais scolaire exorbitant afin d’employer le management du Capital ; bref de faire obéir le prolétariat, les cursus pour prétendus « sous-doués » ne servent quant à eux qu’à obéir à ceux qui nous sont présentés comme légitime. Or, parmi les compétences requise pour accéder à l’élite des H.P, jamais aucun test n’est par exemple mis en œuvre pour voir si la personne qui s’y emploie est à même de remettre en cause une autorité illégitime, quelle qu’elle soit : politique, scientifique. Ce serait pourtant là un des multiples exemples qui en plus de relever de l’intelligence permettrait de jauger de la capacité éthique d’une personne.

Trêve de plaisanterie, l’éthique ne se mesure pas, sauf à être un carnet de vie scolaire qui juge de l’habileté de jeunes adolescents à devenir de potentiels ennemis de tout comportement jugés « anormal ». Ainsi, et nous le savons depuis MM. Sarkozy et Hortefeux, un délinquant se repère dès les classes de maternelle tandis que plus tard tout comportement insurrectionnelle se devra d’être canalisé.

  Plutôt que de reconnaître une production et d’en juger par elle-même, certains se voient offrir, en plus des meilleures places dans des écoles dont les frais représente le travail d’une vie pour bien des prolétaires, la possibilité d’une reconnaissance au travers de la douance, malgré l’absence concrète de toute production. Ainsi, nous consentons à ce qu’ils consomment, d’un point de vue sociale, sans produire.

Ainsi, nous voyons se dessiner des catégories et sous-catégories de personnes, une sorte de classement accepté et jugé comme acceptable. Alors même qu’on stigmatise aisément les différentes formes de racismes habituels, le racisme de classe ne serait que l’expression d’une « culture de l’excuse », par jalousie de ceux qui réussissent (Amen !). Cela permet un dressage anthropologique d’extraction de la production, puisque déjà récompensé par la nature. Quelle meilleure reconnaissance peut-il y avoir alors que la nature elle-même, plutôt que la reconnaissance d’un travail, d’une production ? Ainsi, sans même produire quoi que ce soit, le surdoué pourra profiter et de la reconnaissance et de la production des « sous-doués ». Au pire, il participera à la production sans produire pour s’établir parmi les nouvelles couches moyennes et ainsi penser s’être élever socialement par lui-même, en tant que self made man. Ainsi, il participe de l’exploitation en pensant y échapper alors même qu’il ne récupère que les miettes du banquet. A l’inverse, celui dont la douance est ignoré verra son travail y compris intellectuel et théorique, l’être presque autant et il devra redoubler d’efforts vis à vis de ceux qui « ne se sont donnés que la peine de naître ». Nous assistons à un surcodage de la valeur intellectuelle où là-encore la production est nié au profit d’une pure consommation arbitraire. La douance devient alors aussi un mode d’intégration aux rites initiatiques du capitalisme : la preuve qu’on peut obtenir les fruits d’un travail qui n’a pas eu lieu ou dont on nie pour le moins l’existence.

  Or, comme Bach le signalait déjà, à temps de travail égal, n’importe qui sans doutes aurait atteint son niveau technique. Nous nous heurtons là au problème du travail invisible. Faute de vouloir reconnaître le travail réel et préférant les nouvelles mystiques, le temps de travail et de réflexion passés à produire quelque chose se verra réduit au fait que le niveau atteint provient d’un ailleurs, d’un « don », évacuant ainsi toutes potentialités réelles et à disposition du commun.

  Parce qu’à juger même que ces « haut potentiels » aient justement en eux ces capacités potentiellement déplorables, cela ne signifie pas que les autres ne peuvent pas les déployer pour autant, en y ajoutant là-encore du travail. De même, l’adage dit bien que qu’un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche… Il en va de même entre un « sous-doués » qui s’exerce des heures et un surdoué qui reste sur cette reconnaissance idéaliste vis à vis de toute praxis. Pour bien comprendre le problème de l’idéalisme de la praxis il nous suffit de nous représenter quelqu’un dont la vie consisterait à ne jamais produire aucune tâche ménagère, mais dont une autre personne les exécuterait à sa place, sans qu’il daigne bien vouloir s’en apercevoir. Alors, malgré l’insalubrité qui devrait régner dans le lieu, l’idéaliste de la praxis, niant le travail de nettoyage de l’autre, en viendra à imaginer que ce nettoyage est le fruit d’un tiers inclus, bien qu’inexistant – sorte de main invisible de la propreté…

 

[1] La taille du bassin chez la mère n’étant pas suffisamment conséquente par rapport au développement du néocortex, le temps de gestion humain postulé à 12mois normalement, n’est que de neuf mois. Cela rend le bébé moins viable que n’importe quel autre mammifère à la naissance. En conséquence de cela il a nécessairement besoin du rapport à l’autre pour se maintenir en vie.

[2] Si l’on accepte là-encore d’arrêter de croire que « pensées et langage » sont absolument dissociés…

[3] http://www.douance.org/qi/qicorrel.html#corps

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