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Le centralisme démocratique : les origines

Le centralisme démocratique : les origines

Le centralisme démocratique est le mode d'organisation des partis communistes et ouvriers depuis la fondation du parti bolchevik et de la IIIème internationale. Il se résume par deux principes simples : la liberté de discussion (démocratie) et l'unité d'action (centralisme).

 Quels sont ses fondements historiques et philosophiques ?

1) Les origines historiques du centralisme démocratique
a) La révolution française 1793

Le centralisme démocratique semble prendre ses racines théoriques et pratiques à l’époque de la révolution française de 1793 et plus précisément au sein de la fraction Jacobine de la gauche parlementaire (la Montagne). On y retrouve déjà ses deux grands principes, appliqués à la jeune République :

  • La République une et indivisible.
  • Le suffrage universel (encore uniquement masculin) dans les communes.

Ces deux piliers constituèrent les conditions essentielles de la victoire contre la Coalition et les diverses insurrections royalistes. Et ce n’est pas un hasard si l’on retrouve cette opposition entre Jacobins et Girondins (la droite parlementaire) dans les discours de Macron, prenant bien entendu le parti des seconds.[1]

Lénine lui-même comparera la fraction bolchevik du POSDR[2] à la Montagne jacobine (qualificatifs utilisés à l’époque comme autant d’insultes à son encontre, sic.) et les mencheviks et autres tendances droitières du mouvement ouvrier russe de l’époque à la Gironde[3].

b) La Commune de Paris 1871

La Commune de Paris constitue la première révolution prolétarienne victorieuse de l’Histoire ayant mis en place, malgré sa courte durée, l’embryon de ce qui sera reconnu par Marx et Engels comme un prototype de dictature du prolétariat.

Cette révolution se place pourtant dans une certaine continuité avec celles qui l’ont précédée dans notre pays. On peut notamment penser aux thèses de Marat sur la démocratie directe par et pour les travailleurs, incluant notamment la notion de révocabilité des mandats[4] mais c’est à la révolution de février 1848 que Karl Marx attribuera la paternité directe de la Commune.

 « L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune ? Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle même. La Commune fut la forme positive de cette république. »[5]

Le modèle de démocratie ouvrière proposée par la Commune s’inspire par de nombreux aspects de l’expérience révolutionnaire de 1793 en la développant plus avant.

Le système proposé n’est par ailleurs pas très éloigné du fonctionnement d’un parti communiste concernant l’élection et le traitement des cadres.

« La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville ; Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. »[6]

« Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier »6

De telles similitudes avec la révolution de 1793 et l’organisation actuelle de partis communistes se retrouvent aussi dans le mode de fonctionnement de la Commune selon les diverses échelles géographiques :

« Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris ; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif à leurs électeurs. »[7]

A cette organisation profondément démocratique, qui ferait adhérer de nombreux Gilets Jaunes à la doctrine communiste à l’instant où ils en prendraient connaissance, n’est toutefois pas sacrifiée l’unité de la nation, si chère aux authentiques communistes et patriotes que nous sommes. Elle en est même la garantie comme le souligne à juste titre Karl Marx dans cet extrait, à en faire pâlir nombre de nos trotskistes français.

« L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale, elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d'Etat qui prétendait être l'incarnation de cette unité, mais voulait être indépendant de la nation même, et supérieur à elle, alors qu'il n'en était qu'une excroissance parasitaire. »[8]

Le modèle de gouvernement de la Commune ne doit toutefois en aucun cas être confondu avec le girondisme et son excroissance socialiste, le fédéralisme proudhonien, comme nous le fait remarquer Marx dans l’extrait suivant :

« La Constitution communale a été prise à tort pour une tentative de rompre en une fédération de petits Etats, conforme au rêve de Montesquieu et des Girondins, cette unité des grandes nations, qui, bien qu'engendrée à l'origine par la violence, est maintenant devenue un puissant facteur de la production sociale. L'antagonisme de la Commune et du pouvoir d'Etat a été pris à tort pour une forme excessive de la vieille lutte contre l'excès de centralisation »[9]

c) La révolution d'Octobre 1917

La révolution Russe d’Octobre 1917 s’inspirera grandement de l’expérience de la Commune de Paris, comme le démontrent les nombreuses références qui lui sont faites dans le célèbre ouvrage de Lénine « L’Etat et la révolution ». Le nouvel Etat issu de la révolution, l’Union des République Socialistes Soviétiques, est ainsi conçu du bas vers le haut, en reprenant à son compte le système des soviets (littéralement « conseils »), issus de la révolution Russe de 1905. Ils sont composés d’ouvriers, de paysans et de soldats, tous élus au suffrage universel direct.

Nous y retrouvons notamment les principes de base de la démocratie la plus directe possible, incluant la révocabilité des mandats, comme nous l’explique le philosophe anti-communiste Bertrand Russell dans son ouvrage « Pratique et théorie du bolchevisme ».

« Tous ceux qui s'intéressent au bolchevisme connaissent la série des élections, depuis l'assemblée de village jusqu'au Soviet panrusse, dont les commissaires du peuple sont censés tirer leur pouvoir. On nous expliqua que par le retrait de mandat, par la formation des collèges selon les métiers et par d'autres mesures de ce genre, avait été créé un mécanisme nouveau et perfectionné pour déterminer de la volonté du peuple et l'enregistrer. »[10]

Il convient par ailleurs d’ajouter à cela une notion nouvelle, héritée des principes léninistes : l’importance du lien entretenu entre les dirigeants (peu importe leur niveau « hiérarchique ») et les masses.

« [Parmi les motifs les plus fréquents de retrait de mandat, on compte l']omission du compte rendu aux électeurs »[11]

« Les consultations populaires sur les projets de lois et les décisions de l'Etat, sur les questions principales de l'édification économique et culturelle contribuent tout particulièrement au développement de la démocratie socialiste. Il y a eu, par exemple, des consultations populaires sur les projets de loi concernant la transformation de la gestion de l'industrie et de la construction de l'URSS, le régime des retraites, l'enseignement, etc. Cette pratique se développe de plus en plus. »[12]

Ce système sera maintenu durant toute la vie de l’URSS, malgré la série de dérives droitières opérées par celle-ci à partir du XXème Congrès du PCUS[13], comme en témoigne cet extrait d’un manuel de marxisme soviétique de l’ère Khrouchtchev :

« La grosse majorité des députés des Soviets ne sont pas des professionnels de la politique, mais des hommes occupés dans la production, et ils remplissent leur devoir social aux heures libres de travail. Les Soviets sont formés de la manière la plus démocratique : celle des élections directes. Les électeurs donnent mandat aux députés et en exigent l'exécution. Les députés des soviets rendent périodiquement compte de leur activité aux lecteurs et peuvent être révoqués par ces derniers. »12

Le système soviétique a, après avoir réussi la sa transition économique du capitalisme au socialisme durant les années 1930, agi en faveur d’une démocratisation de la vie politique locale, sans toutefois l’opposer aux organes centraux de direction de l’Etat, dans la continuité des systèmes politiques évoqués précédemment.

 « La période de transition au communisme se caractérise aussi par l'extension progressive des droits des organes locaux. Seules les fonctions nécessaires pour diriger l'économie nationale en tant qu'un ensemble unique sont réservées aux organismes économiques centraux. Les autres questions sont de plus en plus soumises à l'examen des organes locaux. L'Etat élargit les droits de ces organes avec d'autant plus d'audace que la formation des dirigeants locaux éprouvée et l'élévation de la culture et de la conscience politique de la population prennent un rythme plus rapide »12

La révolution d’Octobre 1917, fondatrice du premier Etat ouvrier de l’Histoire, se démarque toutefois des révolutions présentées précédemment par l’hégémonie au sein de celle-ci  d’un unique groupe d’individus, constituant le parti d’avant-garde de la classe ouvrière, le Parti Bolchevik mené par Lénine.

Au sein de ce parti sont mis en application une série de principes organisationnels, constitutifs du centralisme démocratique en tant que mode d’organisation des communistes et théorisés par Lénine dans son ouvrage « Un pas en avant, deux pas en arrière ».

Ces principes sont listés comme suit par G. Gastaud dans son article « Pour le centralisme démocratique »[14] : 

  • Primat du congrès du parti qui fixe démocratiquement, et à la majorité, l'orientation à laquelle sera soumis le comité central du parti issu du congrès ;
  • Subordination des comités locaux du parti au CC élu par le congrès et autonomie desdits comités sur les questions relevant de leur territoire, pour mettre en œuvre localement l'orientation nationale commune ;
  • Subordination au CC de tous les organismes nationaux du parti, de toutes ses commissions de travail comme du comité de rédaction de son organe central ;
  • Subordination de tous les élus au parti, au CC pour les élus nationaux, aux comités locaux du parti pour les élus locaux ;
  • Subordination de tous les dirigeants du parti au CC ; ces dirigeants sont révocables à tout moment par le CC dont ils émanent ; en contrepartie, tous les militants doivent apporter loyalement leur concours fraternel aux dirigeants élus aussi longtemps qu'ils sont en place; ceux-ci dirigent le parti entre deux réunions du CC comme le CC dirige entre deux congrès ;
  • Critique et autocritique menées dans un esprit constant de fraternité et de construction collective ;
  • Libre délibération sur la base des statuts, des principes et des orientations stratégiques prises par le congrès, vote à la majorité et subordination de la minorité à la majorité une fois la décision prise et appliquée par TOUS. Vérification ensuite, de congrès en congrès, de la justesse de la ligne fixée.
  • En un mot, démocratie la plus large possible, naturellement sur la base des objectifs communiste, mais aussi discipline stricte dans l'application de ces décisions, aucune « personnalité », aucun « élu », aucune « commission », aucun « journal du parti », aucun élu ne pouvant se soustraire aux décisions prises après délibération des instances régulières. 

Ils peuvent être complétés par les principes suivants :

  •  Tous les organismes dirigeants du parti, de la base au sommet, sont élus ;
  • Les organismes du parti sont tenus de faire périodiquement des comptes rendus d'activité devant leurs organisations du Parti ;
  • Une sévère discipline du parti et la soumission de la minorité à la majorité ;
  • Les décisions des organismes supérieurs sont absolument obligatoires pour les organismes inférieurs.[15]

Il faut garder à l’esprit que ce mode d’organisation ne va pas de soi et qu’il est issu d’une longue lutte de Lénine et ses partisans au sein même de leur parti, en témoignent de nombreux ouvrages de Lénine ainsi que la scission du POSDR entre bolcheviks et mencheviks au cours de son second congrès, en 1903.

 

Antonio Bermudez

 

[1] Cf. « Pour le Centralisme Démocratique », G.GASTAUD, Cahiers d'Etincelles N°44, pp. 7-11 (septembre 2019)

[2] Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie, membre de la IIème Internationale et ancêtre du Parti Communiste (Bolchevik) de l’Union Soviétique

[3] Cf. « Que faire », V.I.LENINE, Œuvres T.5, p. 362, Editions Sociales/Editions du Progrès

[4] Voir les  « Textes choisis » de Marat, aux Editions Sociales pour une étude plus approfondie de son œuvre

[5] « La guerre civile en France », K.MARX, p.62, Editions Sociales

[6] Opus cité, p.63

[7] Op. cit., p.64

[8] Op. cit., pp.64-65

[9] Op. cit., p.65

[10] B.RUSSELL, « Pratique et théorie du bolchevisme », p.54, Editions du Croquant

[11] Op. cit., p.56

[12] « Les principes du marxisme-léninisme (Manuel)», Ouvrage collectif, p.849, Editions en langues étrangères de Moscou (années 50/60)

[13] C’est au cours de ce congrès qu’est notamment présenté le tristement célèbre « Rapport Khrouchtchev », dénonçant les prétendus « crimes de Staline » sous couvert de dénonciation du « culte de la personnalité ». Il marque le début du déclin théorique de PCUS. Pour de plus amples information, est notamment conseillée la lecture de l’ouvrage « Khrouchtchev a menti »,  de l’américain Grover FURR, aux Editions Delga

[14] Cahiers d'Etincelles N°44, pp., 7-11, septembre 2019

[15] « Les principes du marxisme-léninisme (Manuel)», Ouvrage Collectif, p.413 Editions en langues étrangères de Moscou

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