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Les jeunes d'Espagne en proie à l'illusion capitaliste des jeux d'argent

Si vous vous êtes récemment rendus en Espagne, dans un quartier chic ou délabré, dans une petite bourgade ou une grande métropole, vous n’avez pas pu les manquer : les salles de jeu ont envahi les rues espagnoles depuis la libéralisation quasi-totale du secteur en 2013 par le président du gouvernement d’Espagne d’alors, Mariano RAJOY, néo-franquiste aux ordres de l’UE.

Les géants du secteur sont les mêmes qu’en France : Bet365, Bwin, 888… Dans les rues ou sur internet, les jeux de hasard et les paris sportifs accaparent de plus en plus d’espace, de temps et d’argent au peuple espagnol. On compte aujourd’hui plus de 3500 salles de jeux en Espagne, trente paris y sont réalisés à chaque seconde et plus de 4 milliards d’euros sont joués chaque année sur Internet. Le secteur est en pleine explosion avec une croissance de l’ordre d’une vingtaine de pourcents et représenterait 2,3% du PIB du pays. Au total, le secteur a réalisé 750 millions d’euros de bénéfices nets en 2019, de quoi renflouer la classe capitaliste, dont le portefeuille a été fortement affaibli par la crise. Autant d’argent passé des poches des travailleurs espagnols à celles de capitalistes, sans avoir à négocier aucune diminution des salaires, une aubaine pour la bourgeoisie locale.

Légalement, l'accès aux salles de jeu est strictement interdit aux mineurs, mais, selon les estimations publiques espagnoles, la pratique du jeu par ces derniers est en hausse constante, se rapprochant d’années en années de la barre symbolique 15% de mineurs ayant sauté le pas. Comme en France avec l’alcool et le tabac, les géants du secteur comme les “petits commerçants” ne sont que très peu regardants quant à l’âge de leurs clients et appliquent les procédures de vérification avec le plus de souplesse,  “d’agilité”, si chères à la pensée managériale, possibles. Ce n’est malheureusement pas le seul point de ressemblance du jeu avec les psychotropes, légaux ou non. Il constitue dès le plus jeune âge un phénomène de mode, censé permettre de se donner un air plus “cool” et “adulte” (les salles de jeux font beaucoup office de lieux de rendez-vous pour la jeunesse espagnole), tout en exposant ses consommateurs à l’addiction, la dépression et in fine l’échec scolaire. L’industrie du jeu est consciente de la vulnérabilité de ce public et n’hésite pas à lui forcer la main : publicités près des écoles et centres sportifs à disposition de la jeunesse, publicité orientée “jeunes”, avec sportifs, comédiens et rappeurs à l’appui, détournement de la saine passion de la jeunesse pour le football par le biais des paris sportifs, etc. Force est d’admettre que le Capital est performant dans ce domaine : en 2013, année de la libéralisation du secteur, moins de 5% des 18-25 ans confirment avoir déjà fait des paris d’argent ; en 2017 ils étaient déjà 30% et les chiffres de 2020 seront à coup sûr plus élevés.

Le jeu est une drogue, procède des mêmes mécanismes et a les mêmes finalités : il abrutit ses consommateurs, les ruine et s’attaque à leur santé mentale. Cette addiction qu’il génère est appréciable pour les portefeuilles des différents rentiers du secteur. En plus d’assurer de nouvelles recettes à l’Etat bourgeois en faisant entrer de nouveaux contribuables dans son giron (mineurs, travailleurs les plus pauvres, privés d’emploi…), il permet une deuxième extorsion de la plus-value, la première passant par le travail salarié, ayant pour lui à la différence du jeu la transparence de la manœuvre, la somme exacte de profit n’étant pas indiquée sur la fiche de paye contrairement aux piles de tickets perdants qui n’en finissent pas de s'amonceler dans les poches des prolétaires d’Espagne. Podemos et le pseudo PCE, membres de la coalition social-démocrate (PSOE, IU, Podemos) au pouvoir, promettent une reconquista étatique du secteur et une forte limitation de ce dernier à terme, mais les mesures tardent à arriver voir même se font dans le mauvais sens, notamment en la personne d’Alberto Garzón, ministre de la consommation, se félicitant de l’autorisation de la diffusion de publicités télévisées pour les jeux d’argent aux heures de grande écoute (entraînant une forte hausse du prix des actions boursières liées au secteur). Ce n’est pas la première fois que nous assistons à une trahison de la social-démocratie, ni la dernière.

Ce véritable impôt sur la pauvreté et l’espoir d’une vie meilleure entrent en contradiction fondamentale avec les idées et les idéaux communistes. Notons tout d’abord de l’aspect abrutissant de la pratique, plaçant ses pratiquants dans de véritables boîtes de Skinner à échelle humaine s’approchant plus du travail à la chaîne et du flipper clouscardien que du réel jeu, pris comme un moyen de développement des capacités cognitives des individus et/ou de divertissement visant à en élever le niveau de conscience par des mécanismes tels que la stratégie, la culture ou les mathématiques. Il ne s’agit donc pas pour nous de remettre en cause la belote ou les échecs mais de questionner les véritables buts de l’implémentation par la bourgeoisie de telles pratiques au sein de la classe laborieuse.

Nous avons abordé plus haut l’aspect pécunier négatif, mais que faire des gagnants ? Conceptuellement, le gagnant est un capitaliste. En effet, Marx démontre dans le Capital (Livre I Section II Chapitre IV) que la formule générale dudit capital n’est autre que A-A’ (quand on la réduit dans un “style lapidaire”), c’est-à-dire un échange n’ayant pour finalité non pas l’achat d’une marchandise qui sera plus tard consommée mais bien l’échange d’argent contre une autre somme d’argent (supérieure, si possible). La transformation du joueur en capitaliste est donc le but fondamental de l’opération, tout en n’étant qu’un mirage, les grands gagnant n’étant qu’évidemment extrêmement minoritaires, sans quoi la banque ferait faillite. Ce mirage constitue l’intérêt idéologique fondamental de la manœuvre de “mise au jeu” de la classe ouvrière. En effet, chaque travailleur qui s’y adonne n’aspire plus qu’à une chose : devenir ce capitaliste fantasmé. Ainsi, pourquoi faire grève, pourquoi adhérer au syndicat ou au parti quand on a en soi ce bourgeon de bourgeois qui ne demande qu’à éclore d’une pression du pouce, la fin de la journée de travail venue ? Et voilà notre honnête ouvrier transformé en bourgeois mental, le temps d’une partie, persuadé du mythe de la richesse sans travail et parfait individualiste.

Heureusement, tout n’est pas noir et la résistance populaire s’organise. De nombreuses associations issues des quartiers populaires mais aussi d’anciens joueurs réhabilités en appellent aux autorités, qui peuvent parfois timidement céder aux revendications populaires. Par exemple, dans la communauté autonome de Madrid, un décret établit une distance minimale de 100 mètres à respecter entre les salles de jeux et les centres d'éducation primaire et secondaire. Le peuple espagnol n’est cependant pas dupe de ces mesurettes et chaque semaine de nombreuses manifestations populaires ont lieu pour exiger la fermeture des bingos, casinos et autres salles de jeu, manifestations auxquelles prennent part nos camarades des JCPE. Ainsi, nous nous associons avec plaisir à leurs revendications claires et franchement communistes :

 

- Fermeture immédiate des commerces permettant les paris.

- Interdiction des jeux en ligne.

- Augmentation de l'offre de centres de soins pour personnes addictes[1] .

- Solvabilité de la dette contractée par les joueurs auprès des banques et des sociétés de prêt.

- Relocalisation de tous les travailleurs du secteur.

 

Antonio Bermudez


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