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JRCF

L’analyse marxiste de la Commune de Paris De la nécessité d’un parti d’avant-garde

L’analyse marxiste de la Commune de Paris De la nécessité d’un parti d’avant-garde

On raconte qu’en janvier 1918, Lénine esquissa quelques pas de danse dans la neige lorsque le gouvernement issu de la Révolution bolchevique d’octobre 1917 dépassa d’un jour la durée de la Commune de Paris de 1871. Cette anecdote révèle la conscience de Lénine et des dirigeants bolcheviks de ce que l’histoire du mouvement ouvrier, notamment en France, avait bien montré : la bourgeoisie est prête à tout pour détruire la moindre tentative révolutionnaire de lui disputer sa dictature de classe. En juin 1848, la répression fit près de 6 000 morts auxquels s’ajoutèrent plus de 10 000 condamnations. Plus tard, en 1871, à la fin de la Commune de Paris, le bilan de la semaine sanglante s’élevait à entre 20 000 et 30 000 communards massacrés. En Russie soviétique, dès l’arrivée au pouvoir des bolcheviks, les Blancs firent tout pour tuer la Révolution dans l'œuf. Cette “guerre civile” dura près de 5 ans jusqu’à la stabilisation du pouvoir communiste et la création de l’URSS le 30 décembre 1922. Mais si Lénine et le prolétariat russe ont réussi à faire triompher la révolution en Russie et à renverser durablement la dictature de la bourgeoisie dans leur pays, c’est notamment parce qu’ils avaient retenu les leçons que Marx avait dégagées de la lutte héroïque des communards face aux forces réactionnaires. Aussi brève que fut l’expérience révolutionnaire de la Commune de Paris, elle n’en eut pas moins une importance historique majeure aux yeux de ce grand penseur. Au-delà de sa dimension héroïque, la lutte courageuse et inventive de la classe ouvrière parisienne lui permit d’approfondir et d’affiner sa conception de la Révolution et de préciser les tâches qui s’imposent aux travailleurs désireux de se libérer de leurs maîtres.

 

Comme l’explique Lénine dans L’Etat et la révolution, “Marx ne se contenta pas d'admirer l'héroïsme des communards montant à l'assaut du ciel, selon son expression. Dans le mouvement révolutionnaire des masses, bien que celui-ci n'eût pas atteint son but, il voyait une expérience historique d'une portée immense, un certain pas en avant de la révolution prolétarienne universelle, un pas réel bien plus important que des centaines de programmes et de raisonnements. Analyser cette expérience, y puiser des leçons de tactique, s'en servir pour passer au crible sa théorie : telle est la tâche que Marx se fixa”[1]. L’expérience de la Commune va à nouveau confirmer la nécessité de détruire la machine bureaucratique et militaire de l’Etat bourgeois mais elle va aussi permettre de commencer à répondre à la question de la nature du nouveau pouvoir à mettre en place, de la forme concrète que peut prendre la dictature du prolétariat.

 

Marx raconte que “le premier décret de la Commune fut la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes”[2]. Il est intéressant de noter que suite à la défaite de l’armée française contre les prussiens en septembre 1870 à Sedan, le prolétariat parisien avait été armé pour défendre la capitale et c’est justement parce que les élites bourgeoises s’allièrent à l’ennemi prussien contre les ouvriers et que Thiers tenta de récupérer les armes des mains des travailleurs de Paris que ces derniers se soulevèrent et que fut décrétée la Commune. Ainsi, la Commune comprit qu’elle ne pouvait pas compter sur cette armée totalement acquise à la bourgeoisie et que, pour défendre ses intérêts et organiser la résistance patriotique, elle ne pouvait compter que sur elle-même avec l’instauration d’une force constituée des travailleurs en armes. Par ailleurs, suite à la capitulation de la République bourgeoise, le gouvernement et l'administration ayant fui à Versailles, la Commune dut se doter d’un nouveau pouvoir afin d’organiser la résistance et répondre aux besoins urgents de la population alors que l’armée prussienne assiégeait la ville depuis plusieurs mois. Le gouvernement de la Commune fut constitué par l’élection au suffrage universel de conseillers municipaux dans chaque arrondissement de la capitale. Les élus étaient majoritairement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. Ils étaient responsables de leurs décisions, révocables à tout moment et rétribués au salaire moyen d’un ouvrier. “Au lieu de décider une fois tous les 3 ou 6 ans quel membre de la classe dirigeante devait “représenter” et fouler aux pieds le peuple au Parlement, le suffrage universel devait servir au peuple constitué en communes”[3].

 

Par ailleurs, Marx relate que, de la même façon, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de leur feinte indépendance, ils devaient être électifs, responsables et révocables. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration. De plus, la totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. En ce qui concerne les mesures sociales, on peut noter l’abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers mais ce qu’il faut surtout retenir c’est la remise aux associations d'ouvriers, sous réserve du paiement d'une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes aient disparu ou qu'ils aient préféré suspendre le travail.

 

Ainsi, “la Commune fut la forme positive d'une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même”[4]. Pour Engels, “la Commune dut reconnaître d'emblée que la classe ouvrière, une fois au pouvoir, ne pouvait continuer à administrer avec la vieille machine d'Etat ; pour ne pas perdre à nouveau sa propre domination qu'elle venait à peine de conquérir, cette classe ouvrière devait, d'une part, éliminer la vieille machine d'oppression jusqu'alors employée contre elle-même, mais, d'autre part, prendre des assurances contre ses propres mandataires et fonctionnaires”[5]. Pour cela, “la Commune employa deux moyens infaillibles. Premièrement, elle soumit toutes les places, de l'administration, de la justice et de l'enseignement, au choix des intéressés par élection au suffrage universel, et, bien entendu, à la révocation à tout moment par ces mêmes intéressés. Et, deuxièmement, elle ne rétribua tous les services, des plus bas aux plus élevés, que par le salaire que recevaient les autres ouvriers”[6]. Selon Marx, “ces mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple”[7]. D’après lui,

 

(...) c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c'était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail. Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l'existence des classes, donc, la domination de classe.[8]

 

Ainsi, Marx conclut sur le fait qu’il s’agit de la première tentative faite par la révolution prolétarienne pour “briser la machine d'Etat bourgeoise” ; qu’elle est la forme politique "enfin trouvée" par quoi l'on peut et l'on doit remplacer ce qui a été brisé. Selon Lénine, il s’agit “d’une œuvre gigantesque : le remplacement d'institutions par d'autres foncièrement différentes”[9]. Enfin, comment ne pas citer la phrase d’Engels qui répondait aux socio-démocrates effrayés en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat : “Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l'air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat !”[10]

 

Si Marx et Engels puis Lénine insistèrent sur le combat héroïque des communards et sur toutes les réalisations positives de la Commune, ils ne manquèrent pas d’en analyser les faiblesses ou les erreurs qui ont pu être commises.

 

Le premier point que l’on peut souligner concerne les rapports objectifs entre classes sociales. Dans la France de cette époque, la classe ouvrière est encore relativement peu développée et la majorité de la population est constituée de paysans encore bercés des illusions attachées à la propriété de la terre. Surtout, le faible développement des infrastructures de déplacement et de communication ainsi que le siège de Paris entravèrent fortement les tentatives pour faire rallier les paysans pauvres à la cause de la Commune. Mais il faut néanmoins insister sur le fait que “les “ruraux”[11] savaient que 3 mois de libre communication entre le Paris de la Commune et les provinces amèneraient un soulèvement général des paysans et qu’ils se hâtèrent d’établir un cordon de police autour de Paris comme pour arrêter la propagation de la peste bovine”[12].

 

Quelques mois avant la Commune, Marx et Engels estimaient que dans la circonstance d’une guerre avec la Prusse, la situation n’était pas du tout favorable à une insurrection ouvrière. Cependant, il faut noter qu’en janvier 1871 l’armée française est prisonnière des prussiens et que le peuple de Paris compte 500 000 personnes armées contre environ 200 000 prussiens. Lorsque, le 18 mars, Thiers tente de désarmer les parisiens, la trahison du gouvernement n’est plus à démontrer et la population parisienne se soulève. Marx notera qu’à ce moment-là, “dans sa répugnance à accepter la guerre civile engagée par Thiers avec sa tentative d'effraction nocturne à Montmartre, le Comité central commit, cette fois, une faute décisive en ne marchant pas aussitôt sur Versailles, alors entièrement sans défense, et en mettant ainsi fin aux complots de Thiers et de ses ruraux. Au lieu de cela, on permit encore au parti de l'ordre[13] d'essayer sa force aux urnes, le 26 mars, jour de l'élection de la Commune. Ce jour-là, dans les mairies de Paris, ses membres [du parti de l’ordre] échangèrent de douces paroles de réconciliation avec leurs trop généreux vainqueurs, en grommelant du fond du cœur le serment de les exterminer en temps et lieu”[14]. En simulant des négociations avec Paris, Thiers se donna alors le temps de se préparer à la guerre contre elle. Il négocia avec Bismarck la libération des troupes françaises prisonnières afin d’exterminer les ouvriers parisiens. En échange, il acceptait un raccourcissement des délais de paiement de l'indemnité de guerre et l'occupation continue des forts de Paris par les troupes prussiennes jusqu'à ce que Bismarck se tint pour satisfait de l'état des choses en France.

 

La principale erreur de la Commune fut donc d’avoir été bien trop conciliante avec l’ennemi de classe qui, lui, n’a cessé de calomnier les communards, de comploter contre eux, d’exécuter des prisonniers, et enfin de les massacrer au moment de la semaine sanglante. Plus généralement, Engels souligne que la Commune de Paris n’aurait pas duré un seul jour, si elle ne s'était pas servie de l’autorité du peuple armé face aux bourgeois mais il se demande si on ne peut pas au contraire lui reprocher de ne pas s’en être servi assez largement pour faire face à la réaction. Lénine ajoute que “cette nécessité s'imposait particulièrement à la Commune, et l'une des causes de sa défaite est qu'elle ne l'a pas fait avec assez de résolution”[15]. Par ailleurs, Engels note également que “le plus difficile à saisir est certainement le saint respect avec lequel on s'arrêta devant les portes de la Banque de France. Ce fut d'ailleurs une lourde faute politique. La Banque aux mains de la Commune, cela valait mieux que dix mille otages. Cela signifiait toute la bourgeoisie française faisant pression sur le gouvernement de Versailles pour conclure la paix avec la Commune”[16].

 

En résumé, la Commune de Paris a tout d’abord permis à Marx de confirmer la conclusion de son analyse de 1852 qui indiquait qu’au moment de la prise du pouvoir, les travailleurs doivent détruire de fond en comble la machine d’Etat bourgeoise qui est entièrement construite pour servir la grande bourgeoisie. Ensuite, la Commune a également confirmé ce qui avait déjà été observé au moment des massacres des journées de juin 1848, à savoir que la bourgeoisie est tout à fait prête à commettre les pires atrocités lorsque son pouvoir de classe est contesté. En conséquence, lorsqu’elle les travailleurs prennent le pouvoir, ils ne doivent faire preuve d’aucune indulgence avec l’ennemi de classe réactionnaire car lui n’en aura aucune et utilisera tous les moyens disponibles pour reconquérir son pouvoir - et l’histoire du XXème siècle n’a fait que confirmer cette analyse. D’où la nécessité de briser la machine d’Etat bourgeoise mais aussi de mettre en place un Etat prolétarien capable de faire face à la contre-révolution et de construire des institutions socialistes. A cet égard, si la Commune de Paris n’a pas réussi à vaincre la réaction, elle a néanmoins commencé à construire une organisation nouvelle du pouvoir. Elle a été le premier exemple historique de dictature du prolétariat, la première forme concrète d’un pouvoir par et pour les travailleurs, une forme d’Etat socialiste qui a posé les fondements d’une société nouvelle notamment avec la mise en place d’institutions profondément démocratiques et laïques, la mise en œuvre de mesures sociales ou encore l’organisation du travail par les travailleurs eux-mêmes. Enfin, les événements de la Commune ont montré l’absolue nécessité de construire un parti de combat uni et discipliné s’appuyant sur les leçons de Marx et Engels et capable de faire la décision le moment venu en appliquant sans faiblesse la dictature du prolétariat : détruire l’Etat bourgeois et organiser un Etat ouvrier capable de résister à la contre-révolution et de de bâtir le socialisme - et à terme une société débarrassée de l’exploitation de classe. C’est un point sur lequel insistera beaucoup Lénine notamment dans La Maladie infantile du communisme, fort de l’expérience de la Révolution bolchevique :

 

(...) les bolcheviks ne se seraient pas maintenus au pouvoir, je ne dis pas deux années et demie, mais même deux mois et demi, sans la discipline la plus rigoureuse, une véritable discipline de fer dans notre parti, sans l'appui total et indéfectible accordé à ce dernier par la masse de la classe ouvrière.[17]

 

La dictature du prolétariat, c'est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classe contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de son renversement (ne fût-ce que dans un seul pays).[18]

 

Et pour finir, il nous semble que cette citation de Gramsci résume bien la principale leçon de la Commune :

 

L'élément décisif de toute situation est la force organisée en permanence et préparée depuis longtemps, et qu'on peut faire avancer quand on juge qu'une situation est favorable (et elle est favorable dans la seule mesure où une telle force existe et où elle est pleine d'une ardeur combative) ; aussi la tâche essentielle est-elle de veiller systématiquement et patiemment à former, à développer, à rendre toujours plus homogène, compacte, consciente d'elle-même cette force.[19]

 

Le combat des communards et les leçons qu’en ont tiré Marx, Engels et Lénine doivent aujourd’hui nous inciter à l’effort de reconstruction d’un grand parti communiste de combat visant la dictature du prolétariat et l’instauration d’un Etat socialiste. Il est vrai que la mode est au spontanéisme, à l’horizontalisme et au mouvementisme anti-partis. Et les innombrables appels de personnalité pour défendre telle ou telle cause resteront lettre morte sans un parti puissant, organisé et discipliné, capable de tenir tête à l’ennemi de classe. Car cet ennemi, lui, est très organisé et dispose de presque tous les moyens de propagande et de répression. Face à cela, le spontanéisme et le mouvementisme électoraliste ne seront jamais en mesure de faire vaciller, aussi peu que ce soit, l’ordre établi. Dans ce contexte, la mobilisation héroïque et salutaire des Gilets jaunes est encourageante quant à la combativité des travailleurs de notre pays. Mais pour obtenir des victoires significatives et viser la victoire finale sur la bourgeoisie exploiteuse, les travailleurs n’auront d’autre choix que d’abandonner les illusions de l’horizontalisme : ils devront s’organiser et clarifier leurs objectifs de lutte. Il est aujourd’hui urgent et plus que jamais indispensable de construire un grand parti communiste de combat, de masse et de classe, s’appuyant sur le marxisme-léninisme, avec des objectifs clairs comme la sortie de l’UE, de l’euro, de l’OTAN, et du capitalisme en visant la dictature du prolétariat et la construction du socialisme, armé des enseignements de la glorieuse Commune de Paris. C’est la tâche à laquelle s’astreignent le PRCF et les JRCF dans l’objectif de vaincre définitivement la dictature capitaliste et de construire les nouveaux jours heureux pour notre pays.

 


[1] Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917.

[2] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.

[3] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.

[4] Ibid.

[5] Friedrich Engels, Introduction à La Guerre civile en France de 1891.

[6] Ibid.

[7] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.

[8] Ibid.

[9] Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917.

[10] Friedrich Engels, Introduction à La Guerre civile en France de 1891.

[11] Députés monarchistes représentants des grands propriétaires terriens et des couches réactionnaires des villes et surtout des campagnes. Ils étaient largement majoritaires à l'Assemblée nationale inaugurée à Bordeaux le 13 février 1871.

[12] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.

[13] Parti de la bourgeoisie conservatrice.

[14] Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871.         

[15] Lénine, L’Etat et la Révolution, 1917.

[16] Friedrich Engels, Introduction à La Guerre civile en France de 1891.

[17] Lénine, La Maladie infantile du communisme, 1920.

[18] Ibid.

[19] Antonio Gramsci, notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince moderne dans les Cahiers de Prison, 1929-1935.

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