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JRCF

Lutte des classes et violences policières

 

Petite précision en avant-propos : on ne parlera pas ici des violences, et poursuites judiciaires visant des manifestants et les syndicalistes (même si cela n’est pas étranger non plus). Non ici nous parlerons d’une violence plus quotidienne et qui touche des gens peu ou pas politisé.

Qu’est-ce qu’on entend par violences policières ? Et bien par là on souhaite parler de diverses pratiques tel l’intimidation, le meurtre, les violences sexuelles, etc…

Que vient faire la lutte des classes dans tout ça ? Est-ce que les violences policières et la lutte des classes n’ont absolument rien à voir ? Le philosophe italien Domenico Losurdo a écrit en 2017 La lutte des classes (éditions Delga), un livre où il étudie les écrits de Marx et d’Engels, et où il arrive à la conclusion que la lutte des classes est une théorie générale du conflit sociale et qu’elle se morcelle en trois grands conflits : 1) la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, 2) la lutte de libération de la nation opprimée et 3) la lutte pour l’émancipation de la femme. Ces luttes ne sont pas hermétiques, elles s’entrecroisent et font partie d’un tout. A cela s’ajoute diverses luttes capitales pour l’époque et la société donnée. Il dit d’ailleurs p. 139 :

« Une situation historique déterminée se caractérise toujours par une multiplicité variée de conflit et, à son tour, chaque conflit comporte la présence d’une multiplicité de sujets sociaux qui expriment des idées et des intérêts divers et opposés. Pour s’orienter dans cette sorte de labyrinthe, il faut s’enquérir non seulement de la configuration interne de chacun de ces conflits, mais aussi de la façon dont ils s’articulent et se structurent en une totalité concrète. »

Cela signifie donc qu'à aucune époque il n'y eu un conflit pur entre deux classes, mais au contraire une multitude de conflits qui viennent s’y ajouter et qui ont mobilisé au-delà de la classe ouvrière exploitée d'un côté et de la grande bourgeoisie exploiteuse de l'autre. De ce point de vue, s’il n’en fait pas état dans son livre, on peut dire que la lutte contre les violences policières, violences dirigées contre les travailleurs et citoyens, est partie intégrante de la lutte des classes que ce soit tant au niveau des proportions qu’elle prend qu’au niveau de ce qu’accompagne ce genre de pratique en France : un processus de fascisation.

Ajoutons aussi qu’il ne s’agit pas de faire le jeu d’un pseudo-communautarisme car contrairement aux Etats-Unis, où certaines populations du fait de l’histoire du pays se sont regroupées en communautés, ce n’est pas le cas de la France, pays dans lequel le regroupement dans les territoires c’est fait sur des critères majoritairement sociaux et économiques. Si les populations dites immigrées ou « descendant d’immigrées » (aujourd’hui pourtant française) se trouvent toujours être nombreuses dans les tours HLM dans les banlieues et les bastions populaires les plus dominés par la précarité, c’est moins par attitude communautaire que du fait que ces populations soient actuellement les plus exploités économiquement.

Au fil des années, les affaires se superposent les unes sur les autres : Zyed et Bouna, Amine Bentounsi, Hocine Bouras, Adama Traore, Théo, Shaoyo Liu, Curtis, etc.

Le web media Bastamag dans l’un de ses articles de 2014 (Homicides, accidents, « malaises », légitime défense : 50 ans de morts par la police) avait fait le recensement sur plus d’une trentaine d’année de morts survenue entre les mains de la police. Hors événements exceptionnelles, c’est l’année 1986 qui est la pire en terme de morts avec un total de 20 assassinats. De nouveau le pic sera atteint en 1993, les deux années ayant pour corrélation l’arrivée de Charles Pasqua place Beauvau. Dans un autre article de décembre 2016 du même journal (Légitime défense : dans quelles situations policiers et gendarmes ont-ils abattu un suspect ?) donnait un chiffre de 445 personnes tuées sur une échelle de trente ans, ce qui donne une moyenne de deux par mois. Remarquons que ce genre d’enquête est difficile à mener – voir les méthodes des auteurs des deux articles –, qu’aucune enquête officielle n’a été faite sur ce genre d’incident, et qu’il n’y a par conséquent pas de moyens de chiffrer précisément d’autres types de « violences » comme les arrestations abusives, les passages à tabac, les intimidations, etc.

Le profil type de la victime serait le suivant :

« C’est un homme noir ou d’origine arabe, habitant un quartier populaire de l’agglomération francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à 30 ans. Idem pour les circonstances qui leur ont été fatales : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite… » *

Aussi, et c’est un problème, s’il y a bien une indication spatiale des violences, d’une part elles peuvent avoir changer en trois ans, d’autre part il serait ardu de penser qu’elles soient de la même intensité sur l’ensemble des territoires cités. Ici aussi nous n’avons malheureusement pas d’enquête plus détaillés.

D’autres part rappelons qu’il ne s’agit que d’un profil type. Les victimes des violences policières sont nombreuses et ne correspondent pas systématiquement à ce profil. Citons des exemples. Angelo Garand, un homme blanc, prisonnier en permission qui n’avait pas regagné sa maison d’arrêt, a été abattu par des gendarmes du GIGN, chez lui, en présence de sa famille et sans qu’il ne soit armé. Parlons aussi de cette jeune femme, Marina T., habitant Mantes-la-Jolie, qui le lundi 17 juillet dernier c’est retrouvé en garde à vue pour refus de se soumettre à un contrôle d’identité et rébellion suite à un simple contrôle routier. Elle avait simplement demandé au policier de l’accompagner chez elle, à deux pas, pour prendre sa carte d’identité qu’elle n’avait pas sur elle. Ils l’ont roué de coup et l’ont appelé par des noms sympathiques comme « mal baisée », « salope » ou « connasse ».

On constate aussi une récurrence du contrôle au faciès dénoncé par plusieurs associations et qui vient d’être récemment considéré comme une pratique illégale par la Cour de cassation. D’autres part plusieurs personnes habitants d’un quartier populaire font état d’intimidations récurrentes de la part des policiers, allant de la provocation à la bagarre et jusqu'à la menace de viol.

Hors arme à feu, on retrouve chez les victimes de violences policières l’usage de plusieurs techniques d’interpellation critiquées par diverses organisations, dont Amnesty international, à l’instar du plaquage-ventral, du pliage ou encore de la clé d’étranglement. Prenons un exemple hélas tiré de faits réels.

Le plaquage-ventral cause de la mort d’Adama Traore. En effet le jeune homme qui ne voulait simplement pas se faire arrêter pour rien le jour de son anniversaire, la police de sa ville ayant semble-t-il un passif avec les jeunes, s’est retrouvé plaqué au sol par trois hommes des forces de l’ordre lors de son interpellation selon la technique du plaquage ventral, ce qui a causé son asphyxie. En France si cette méthode est autorisée, son emploi ne se justifie qu’en dernier recours, tandis que dans d’autres pays comme la Belgique elle est tout simplement interdite. Et pourquoi cela ? Parce que la technique entrave les voies respiratoires. Dans le cas d’Adama, on peut finalement avancer qu’elle n’était pas nécessaire, la victime étant désarmée contre des hommes armés et entraînés. De plus – car la révélation de la mort par asphyxie du jeune homme est le fruit d’une seconde expertise – on peut se demander pourquoi, s’il n’y a pas eu mort par asphyxie due à un plaquage ventral, les policiers ont menti au début de l’enquête en prétendant que le jeune homme était mort à cause d’une infection ?

On remarquera que majoritairement les populations concernées par ce genre de violences s’éloignent des institutions républicaines, se sentant rejetés par ces dernières, ne votent presque plus et pour cause, les politiques font souvent une différence de traitement entre eux et les forces de l’ordre : déblocage d’une somme d’argent conséquente pour la police de 250 millions d’euros après les incidents de Viry-Châtillon, tandis qu’aucune garantie n’est donnée aux familles des victimes de violence ; fréquents appels d’ « amour » des politiciens envers les policiers ; rares visites chez les familles de victime ; propos de divers politiciens, dont le candidat François Fillon, à durcir le système pénal après les émeutes et manifestations pour Théo en rechignant à parler de ce dernier. Un autre point de friction c’est la tendance à criminaliser la victime, que ce soit en mettant en avant son passé délictuelle, comme pour Hocine Bourras tué durant son transfert ou d’Amine Bentounsi, fugitif désarmé et abattu de plusieurs balles dans le dos ou par la mise en avant d’informations fallacieuses ayant pour but de décrédibiliser la victime en s’attaquant à sa famille puis à lui, à l’instar de Théo et plus récemment pour le jeune Curtis. Aucune gêne non plus à s'attaquer judiciairement aux familles des victimes, voir le cas de Bagui Traore toujours en prison pour « tentative de meurtre » sur un agent des forces de l’ordre (faits pour l’instant non prouvés) ni de poursuivre en diffamation le collectif « Urgence notre police assassine », poursuite lancée en 2014 par le ministre de l’Intérieur.

 

Pourquoi ces agissements ?

  1. En France on entraîne la police au tir dans le buste et les épaules, ce qui augmente la possibilité de tuer la cible, tandis que dans d’autres pays c’est dans la jambe et les bras. Rappelons qu’en 2002, selon l’étude faite par un ancien gendarme, un grand nombre d’apprentis policiers considéraient la norme de droit, qui fonde leurs prérogatives, comme contraignante !

  2. Les affectations : comme dans les autres services publics l'affectation dépend de la note obtenue. Ce qui fait que certains n’ayant pas eu la meilleure note au concours se verront imposés les secteurs les moins demandés, ce qui inclus les cités difficiles.

  3. La violence réelle de certains quartiers, violence qui est également une résultante de la vision qu’en a la population. Et cette vision est imposée majoritairement par la télé. Il suffit de regarder un peu les reportages poubelles à la télévision pour voir quel peut être la vision donnée des cités !

  4. L'apprentissage, sur le terrain, des nouvelles recrues par  les policiers « expérimentés », qui perpétuent certaines de leurs pratiques, dont l’intimidation.

Il ne s’agit pas non plus de blâmer tous les policiers, nous reconnaissons notamment l'utilité de l'institution, mais simplement de dénoncer des pratiques courantes qui ne sont dirigées que sur la part la plus pauvre de la population française.

Car il faut bien dire que ces violences ont un caractère de classe évident. On n’a jamais vu la police s’attaquer aux criminelles du grand capital qui vont cacher leur argent dans des paradis fiscaux, exploitent et harcèle leurs salariés, délocalisent dans un autre pays en laissant des familles de travailleurs sur le carreau. A t-on déjà vu un riche mourir aux mains de la police ? Et si tel était le cas, croit-on vraiment que le policier ne serait condamné qu’à quelques miettes de peine comme c’est le cas pour l’assassin d’Amine Bentounsi ? Non, mais quand la victime n'est rien aux yeux du pouvoir, oui. Les prolétaires sont des proies. Ils sont invisibles, aussi bien médiatiquement que politiquement, alors pourquoi leur existence aurait de l’importance ? Et bien disons le haut et fort : de ce monde-là nous n’en voulons pas !

« L’Etat comprime et la Loi triche,

L’impôt saigne le malheureux ;

Nul devoir ne s’impose au riche ;

Le droit du pauvre est un mot creux

C’est assez languir en tutelle,

L’Egalité veut d’autres lois ;

‘’Pas de droits sans devoirs, dit-elle

Egaux pas de devoirs sans droits. »

(L’Internationale, troisième couplet)

 

 

*Extrait de l’article de Bastamag de 2014.

Sources :

  • La lutte des classes de Domenico Losurdo.

  • Les articles de Bastamag : les deux cités plus haut, ainsi que celui de 2017 « Affaire Théo » : les violences et sévices sexuelles perpétrés par des policiers sont-ils exceptionnels ? »

  • Sur les bagarres entre jeunes et policiers : Marianne, juillet 2017, « Paris : règlement de compte à mains nues entre une jeune et un policier lors d’un contrôle ».

  • « Mais que fait la police ? », un article conjointement écrit par un membre de la CGT-Police et Syndicat des avocats de France dans Le monde diplomatique n°754.

  • « La formation professionnelle des policiers » de Pierre-Antoine Mailfait, Revue française d’administration publique n°104 de 2002.

  • Le bulletin militant Résistons ensemble n°161, 162 et 164.

  • « Mort d’Adama Traoré : Le plaquage ventral, une technique controversée » du site 20 minutes datant d’août 2016.

  • « Violences policières : plusieurs femmes mettent en cause le commissariat de Mantes-la-Jolie », Buzzfeed, 20 juillet 2017.

  • « Jeune mort en quad à Antony : pas de course poursuite avec la police pour le parquet », Buzzfeed, 3 juillet 2017.

 

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