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Réforme du lycée professionnel : vous avez dit excellence ?

Réforme du lycée professionnel : vous avez dit excellence ?

La réforme de l’enseignement en lycée professionnel prévue pour la rentrée 2019 fait parler d’elle, sous un tour que Jean-Michel Blanquer n’apprécie pas forcément. Le Conseil Supérieur de L’Education (une instance consultative du ministère de l’éducation nationale) a retoqué le projet le 10 Octobre 2018. Le dossier de presse “transformer le lycée professionnel” a suffi à mettre le feu aux poudres, déclenchant une (tardive) grève des enseignants le 19 mars. 8% de grévistes selon le ministère de l’éducation nationale, 24% selon les syndicats, rien de bien original a priori. Mais voyons le contenu de la réforme qui se prépare et tentons de comprendre l’agitation des enseignants. Ceux-ci verraient-ils l’intégrité de leur profession menacée ?

La réforme prévoit - entre autres - une mesure consistant à favoriser l’enseignement du français et des mathématiques en co-intervention, c’est-à-dire en complément d’un enseignement professionnel. Bien sûr l’idée peut être alléchante : qui peut nier que le savoir, la compétence théorique ne puisse pas être utile à un travail, si manuel fût-il ? Le souci n’est pas là. Il y a bien un vice dans le fait que ces enseignements en co-intervention n’ont pas de programme spécifique, les établissements étant renvoyés à leur autonomie pour construire à partir des programmes disciplinaires séparés des heures d’enseignement mélangeant les contenus. Il va sans dire que la charge de travail est énorme, d’autant plus que la démarche souffre d’un défaut de conception majeur : un programme pluridisciplinaire, a fortiori un programme qui mélange des contenus de natures aussi variées que le français et la menuiserie se pense en amont, en tant que programme pluridisciplinaire ! Procéder comme le fait le gouvernement, en disant à ses agents de la fonction publique en substance qu’ils doivent se débrouiller avec des contenus disparates, pensés séparément à l’origine, relève d’un amateurisme ridicule qui mène au risque d’exposer les élèves à des contenus bâclés, dont la cohérence pédagogique n’est qu’un rafistolage. Et là-dedans le blâme ne peut être mis sur les équipes enseignantes, qui ne font que subir des directives absurdes.

En plus de cette dé-compartimentation (intéressante en principe, stupide en application) des matières, un point de friction est la réduction et la transformation du volume horaire. Moins d’heures d’enseignements “généraux” (comprenez les matières non-relatives à l’enseignement professionnel), une part accrue de la formation en milieu professionnel sont également à prévoir. Il y a là une chose bien plus grave que celle discutée au paragraphe précédent ; la mesure enferme les élèves dans un devenir professionnel au détriment de ce qui pourrait justement les émanciper de ce devenir. En effet, le lycée professionnel, déjà vu comme une filière de relégation bien moins prestigieuse que le lycée général, va accentuer ce qui fait sa spécificité négative par la subordination au marché du travail. On sait déjà que l’apprentissage (lui aussi renforcé par la réforme) est un moyen avantageux pour les employeurs de se payer une main-d’oeuvre docile à moindres frais. Or ce qui pourrait faire voir aux élèves leur intérêt de classe, ce qui pourrait leur ouvrir des horizons intellectuels jusqu’à penser la transformation d’eux-mêmes et de la société, bref tout ce qui peut entraîner l’insoumission face au marché du travail, c’est-à-dire le contenu intellectuel apporté par l’étude de l’histoire, des langues, des sciences, tout ça est relégué toujours plus au second plan. Voyez seulement la situation déjà calamiteuse : le français, l’histoire-géographie et l’enseignement civique ne font qu’une seule et même matière (passe encore) pour un volume horaire ridicule de 105 heures par an en seconde pro, contre 270 en seconde générale et technologique.

On pourrait nous opposer une fin de non-recevoir en disant qu’il est bien normal de rendre l’enseignement professionnel plus professionnel, tout en favorisant le décloisonnement des disciplines. C’est là prendre le problème très exactement à l’envers. Face à la démarche visant à rendre le lycée professionnel “plus pro que pro” nous opposons notre volonté d’abolir en pratique la division fondamentale du travail entre travail manuel et intellectuel : c’est là la condition d’une société réellement libre, une société dans laquelle le penseur travaille aussi à l’usine et vice versa, une société sans classes. Aussi l’éducation socialiste doit-elle tendre à l’exact inverse de cet enfermement dans un devenir de classe que constitue l’accentuation des logiques capitalistes au sein de l’enseignement : elle doit ouvrir réellement le champ des possibles pour l’individu, ce qui implique dans un premier temps de le contraindre à s’intéresser à tout, travail intellectuel comme manuel. Sans quoi la conséquence est ce que nous vivons au jour le jou,: la classe dominante se fait une idée grandiose de sa domination, ou pour reprendre le succulent mot de Marx : le fouet commence à se croire génial. L’éducation socialiste pour être telle ne peut que tendre à façonner un intellectuel humble face aux mains habiles de l’artisan, et un artisan admiratif de la sagacité dudit intello. Mais plus que tout elle doit comprendre que l’artisan et l’intello doivent être une seule et même personne.

Nous avons parlé d’enfermement dans un devenir de classe, position qu’il convient d’étayer. On peut déjà le faire en montrant la logique, toujours plus forte dans l’éducation nationale, de “personnalisation des parcours”. En “donnant le choix” à l’élève de plus en plus tôt on s’attend à ce qu’en toute autonomie il prenne le meilleur chemin pour développer ses talents. Cette conception est erronée à un point qui donne bien des maux de tête. D’abord pour la raison suivante, l’élève ne construit pas son parcours scolaire en autonomie, selon ses désirs. L’élève est à l’école précisément pour acquérir l’autonomie dont il ne dispose pas et pour apprendre à formuler des désirs réfléchis, en adéquation avec le réel et avec les maximes de sa propre conduite. De l’apprentissage de ces maximes au développement d’un individu “autonome”, toute la mission de l’école s’appuie d’abord sur le constat qu’il faut construire ce qui n’existe pas. Voilà un premier argument pour contrer la logique de personnalisation à outrance.

Le second argument est la démonstration que nous offre le réel : les pays dans lesquels le tronc commun de l’éducation nationale est le plus long et le plus homogène (pays nordiques en tête) sont tendanciellement les pays où l’éducation est de la meilleure qualité.

Autre signe des temps, signe d’un fossé toujours croissant entre la classe dominante et le reste de la société, le projet de création des “campus d’excellence”. La réforme prévoit qu’à l’horizon 2022 ce soient au moins 2 campus par région comportant des infrastructures sportives, un internat mais aussi et surtout des incubateurs d’entreprises et des entreprises partenaires qui concentrent le gros du prestige Français en terme d’enseignement professionnel. Ne faut-il pas comprendre ici que tout autre établissement se verra encore plus relégué, encore plus méprisé ? Ne faut-il pas constater l’évidence même : l’excellence est aux yeux de nos gouvernants le privilège inaliénable d’une minorité élue des dieux - on ne sait trop quel est leur panthéon, mais on s’imagine bien que la main invisible du marché y figure en bonne place.

Nous pourrions développer encore longtemps sur cette réforme mais le format de l’article ne s’y prête pas. Nous vous invitons donc à consulter autant de sources que possible au sujet de cette mesure scélérate qui va encore accentuer la fracture sociale entre couches sociales au sein de notre pays. Des professionnels soumis au diktat du marché dès le plus jeune âge, des intellectuels confortés dans leur complexe de supériorité par le fait qu’on n’enseigne plus rien de théorique aux classes travailleuses, voilà ce qui nous attend si la dynamique actuelle du capitalisme “français” se poursuit. Nous espérons avoir ouvert quelques brèches, quelques fissures par lesquelles puisse s’infiltrer l’espoir et la créativité des masses en démolissant le discours officiel par l’emploi des catégories du marxisme.

Nous vous proposons en guise de conclusion de considérer ce dernier fait : la réforme prévoit que soient supprimés 2600 postes d’enseignants. Monsieur Blanquer fait décidément dans l’excellence, une excellence si aristocratique qu’elle finirait bien par en perdre la tête… littéralement. Un certain Louis pourrait témoigner.

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