7 Février 2021
En 2020, la France est composée de moins de 35.000 communes, soit une réduction de plus de 1.700 communes depuis l’adoption des funestes lois MAPTAM (Modernisation de l’Action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) en janvier 2014 et NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) en août 2015.
Si la question de la fusion et de la recomposition communales peut se poser (à elle seule, la France concentre 40% des communes de l’ensemble des pays membres de l’UE, et plus de la moitié des communes compte moins de 500 habitants), la politique des euro-gouvernements successifs débouche, de fait, sur l’« évaporation » (Édouard Balladur) des communes et la décomposition de la France.
Les enquêtes réalisées par le Centre de la vie politique française (Cevipof) ces dernières années montrent le désarroi et l’« évaporation » progressive des communes, dont témoigne un certain nombre de chiffres :
Les départements souffrent également, comme le signalait Christian Favier, sénateur communiste et président du conseil départemental du Val-de-Marne depuis mars 2015 :
« Pour le Val-de-Marne en 2016, la perte de DGF [Dotation globale de fonctionnement] sera de 63 millions d’euros, le reste à charge des allocations de solidarité sera de 105,7 millions d’euros, et la perte de recettes de CVAE [Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises] s’élèverait à 100 millions d’euros, soit un manque total de recettes de 269 millions d’euros, soit 20% du budget de fonctionnement de notre Département.
Une telle asphyxie financière va signifier à très court terme par exemple l’impossibilité de payer le RSA, mais aussi la disparition de tout un ensemble de prestations utiles à l’activité et au pouvoir d’achat, et un très grave recul de l’investissement public. »
Pour comprendre et expliquer les difficultés des communes et des départements, il faut tout d’abord en finir avec la « légende noire » de la centralisation jacobine héritée de la Révolution française, accusée par le « girondiniste » Michel Onfray d’avoir « colonisé les provinces » et créé une « dictature totalitaire ». En effet, les communes, nées au Moyen Âge de l’émancipation des bourgeois (notables en tête) vis-à-vis des seigneurs, de l’Église et du roi, sont en réalité confortées et gagnent en autonomie sous la Révolution, après avoir été placées sous la tutelle directe de l’Intendant général du royaume de France. En opposant communes « libres » du Moyen Âge et « totalitarisme jacobin » de 1793, les nostalgiques « girondinistes » et antijacobins primaires produisent un énorme contresens historique, dont les conséquences se traduisent aujourd’hui par la désintégration et la balkanisation du territoire national.
Signalons d’abord le lien consubstantiel entre l’affirmation des communes et celle de la nation française dès le Moyen Âge. En effet, face à la triple opposition féodo-vassalique évoquée ci-dessus, et comme le signale Georges Gastaud dans Marxisme et Universalisme, « la stratégie des Capétiens notamment depuis Bouvines et Philippe Auguste, a consisté à s’allier avec la bourgeoisie communaliste (maintenue en position dominée) contre les grands feudataires pour unifier le royaume de France ; il faut ensuite saisir le « fil bleu » de cette histoire (le régime bourgeois issu de 1789 et préparé dès 1358 par l’insurrection parisienne d’Étienne Marcel) ». Parallèlement, comme l’indiquent les historiens Denis Menjot et Patrick Boucheron (La ville médiévale, 2011), « l’émancipation des villes face aux pouvoirs seigneuriaux n’était possible que dans la mesure où les communautés urbaines se dotaient d’institutions et d’instruments d’action et de gestion, capables de soutenir une lutte contre des adversaires qui disposaient, quant à eux, d’atouts considérables ». Cela nécessite donc une alliance non dénuée d’ambiguïtés (le roi doit ménager a minima l’Église et l’aristocratie pour conserver son pouvoir de plus en plus ultra concentré) et de rivalités.
Si le Moyen Âge joue un rôle central dans l’affirmation des communes, la Révolution française marque un tournant majeur dans l’affirmation des communes démocratiques. Ainsi, le décret du 14 décembre 1789 substitue les communes aux structures de l’Ancien Régime (échevinats, consulats, etc.), avec des mesures témoignant de la vitalité démocratique des communes : maire élu directement, assemblées par arrondissements et quartiers, Bureau municipal renouvelé chaque année, Conseil général de la commune contrôlant les finances et votant les textes importants, procureur représentant la commune (la plus importante étant la commune insurrectionnelle de Paris de 1793-1794), nombreux pouvoirs municipaux auxquels s’ajoutent les fonctions « propres à l’administration générale de l’État », débouchant sur la réaffirmation du nécessaire lien entre l’État central et les communes. De la même manière, les départements créés par le décret de 1790 remplacent les provinces féodales qui servaient les intérêts des aristocrates et des seigneurs qui profitaient de la faiblesse du pouvoir royal au Moyen Âge, puis de leur entente avec un monarque au pouvoir ultra-centralisé, pour exercer leur domination totale sur les masses et les classes populaires.
Dans son discours du 10 mai 1793, Robespierre promeut la liberté communale : « laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique, et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire ». Il démontre parfaitement la grossièreté caricaturale et mensongère des assertions des antijacobins (de fait, d’authentiques contre-révolutionnaires) primaires, non choqués de voir se reconstituer des féodalités locales.
En réalité, les difficultés des communes et des départements résultent moins des « effets pervers » de la centralisation que de la décentralisation(dont le « pacte girondin » macroniste est, pour le moment, l’aboutissement suprême) assouvissant les communes et départements à un pouvoir concentré entre les mains d’une oligarchie euro-capitaliste qui vide l’État de son caractère « central » au nom de la « souveraineté européenne ». Cette politique appliquée par les euro-gouvernements successifs se traduit par :
Cette politique de décentralisation s’accompagne de l’affirmation d’un double pouvoir ultra concentré et antidémocratique :
De fait, on insiste à une contre-révolution européiste se traduisant par la balkanisation de la France en euro-territoires différenciés – y compris juridiquement – et la dissolution de la République une et indivisible héritée de la Révolution française du fait du remplacement du triptyque communes-département-État-nation centralisateur par un triptyque associant les euro-regroupements locaux (supra-communalités et euro-métropoles), les euro-régions et l’UE supranationale qui a confisqué les souverainetés monétaire, budgétaire, législative, juridique et, de facto, linguistique, politique, économique et diplomatico-militaire (à travers l’OTAN).
En outre, elle ouvre la voie à la réaffirmation des régionalismes indépendantistes, à l’image de la proclamation d’indépendance de la Savoie le 4 octobre 2020 et des revendications pour que soit ratifiée la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Ce dernier texte, signé – mais non (encore) ratifié – par Chirac et le gouvernement Jospin en 2000, est une bombe à retardement pour l’unité et l’indivisibilité de la République car :
Les conséquences sont également désastreuses pour la vie démocratique : la dictature euro-austéritaire se répercute au niveau national, avec l’« évaporation » des communes et départements au profit de nouvelles féodalités décentralisées et fortement liées aux caprices d’un pouvoir ultra-concentré exercé non par l’État-nation, mais par un despote et son équipe de laquais – et ceci a commencé avant Macron, qui représente actuellement le stade suprême de l’autoritarisme euro-capitaliste et réactionnaire – concentrant désormais tous les pouvoirs au sein d’un « Conseil de Défense » effaçant, de fait, la représentation démocratique.
Il est vital d’en finir avec la décentralisation et son corollaire, la concentration des pouvoirs au sein de structures supra– (donc anti-) démocratiques telles que les EPCI, les euro-métropoles, les euro-régions, etc. Cela nécessite bien entendu de sortir de l’UE, cette entité supranationale qui impose un nouvel ordre administratif et territorial totalement aux antipodes de la structure héritée de la Révolution française et basée sur la liberté des communes, l’égalité des départements et l’unité et l’indivisibilité de la République.
À l’inverse doit s’affirmer un triple mouvement assurant un fonctionnement à la fois unitaire et démocratique du triptyque communes-départements-État central, basé sur :
Afin que fonctionne ce triptyque, il est notamment proposé de :