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Pagani sans détours

Pagani sans détours

Dominique Pagani aime les détours. Beaucoup. Car ce griot africain - qui serait comme né quelque part à mi-chemin entre la Corse et le Vietnam - n'a pas son pareil pour vous emmener là où il veut, par mille chemins inconnus de son interlocuteur. Si ceux-ci charment ses auditeurs à l'oral, il faut aussi dire que l'écrit est moins propice à ce type de transmission. Alors forcément, lorsqu’enfin parait ce travail à 4 mains (d'Alexis Manago et de Dominique Pagani), synthèse de plusieurs années de cours, on se dit que le travail accompli a dû être énorme, et que le pari était risqué. Mais en bons goldmanniens sur ce coup, on peut dit que les éditions Delga et les auteurs ont tenu ce pari, et haut-là-main. Le résultat est tout bonnement une des meilleures introductions actuelles à la philosophie en général, et au marxisme en particulier.

Le propos est précis, et va droit au but : démontrer sans pédanterie les racines philosophiques de l'émergence de notre modernité, et les pistes d'action pour la suite. Le tout accessible à tout un chacun. Il y a quelque chose du Socrate moderne chez ce vieux fou, qui peut interpeller sur l'agora parisienne n'importe lequel de ses contemporains, et le conduire à accoucher de la vérité qu'il porte en lui. Son rapport problématique à l'écrit n'est pas la moindre de ses analogies avec Socrate. Nul besoin d'être licencié en philosophie pour comprendre ce dont il est ici question : comme Howard Hawks aimait à faire des films, comme il le disait "à hauteur d'homme", Dominique Pagani fait de la philosophie à hauteur d'homme : ou, comme le disait Pascal, "l’homme est plein de besoins. Il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C’est un bon mathématicien, dira‑t‑on - Mais je n’ai que faire de mathématique : il me prendrait pour une proposition. C’est un bon guerrier - Il me prendrait pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s’accommoder à tous mes besoins généralement. "

 

Mais simplicité ne rime pas avec simplisme. C'est le défaut de la plupart des "introductions à la philosophie" : restreindre la portée de son sujet et donc son intérêt sous prétexte de pédagogie. Mais en bon hégélien, Dominique Pagani ne prend pas ses élèves pour des imbéciles : c'est d'eux que viendra le savoir, pas d'un professeur, adepte du "marxisme de la chaire". La meilleure preuve ? Même les agrégés de philosophie pourront y trouver leur compte, car le livre fourmille de 1000 trucs pédagogiques, dont on sent qu'ils ont été testés sur des générations d'élèves. On y trouvera même quelques intuitions géniales, et des références oubliées de tous les jeunes profs de philo - car chez Dominique Pagani, le philosophe n'est jamais loin du professeur.

Il y a quelque chose de Fichte dans ce grand professeur, qui jamais ne fait passer la clarté du concept derrière les exigences de pédagogie - ou bien plutôt : les deux sont unies intimement, car on ne pense pas rigoureusement sans pouvoir transmettre sa pensée, et on ne transmet rien si l’on n’a pas l'exigence de la rigueur du concept. De même que Fichte pouvait faire en même temps progresser la philosophie à pas de titan avec la Wissenschaftslehre et convertir à la révolution française et à la philosophie progressiste de Rousseau et de Kant des générations d'étudiants dans les Conférences sur la destination de l'Homme, Dominique Pagani continue de faire progresser la pensée qui va de Hegel à Clouscard - en passant par Marx, Lénine, Lukàcs et Goldmann -, tout en permettant à des milliers d'élèves de pouvoir penser selon la clarté du concept, et de s’émanciper de l'obscurité confortable du slogan publicitaire, et du développement personnel.

Saluons donc en ce Socrate moderne l'un des meilleurs professeurs de philosophie depuis Fichte, de ceux qui font vivre en France la grande tradition du rationalisme critique et du matérialisme, contre l’École des laquais du grand capital, qui de Victor Cousin à Jean-Michel Blanquer, utilisent le spiritualisme, l’irrationalisme et le positivisme pour obscurcir la pensée des futurs citoyens.

 

Saluons aussi le travail aussi minutieux que colossale d'Alexis Manago, qui a permis à ce livre de voir le jour, et sous une forme parfaitement adaptée à son contenu : de brefs chapitres qui convergent tous vers la conclusion. On voit là le résultat d'une collaboration aussi originale que réussie. Bref, un livre à mettre absolument entre toutes les mains, de 7 à 77 ans - voire même un peu au-delà.

 

Victor, militant des JRCF.

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