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Polémique contre un certain relativisme

Polémique contre un certain relativisme

En Europe, l’époque de l’aliénation idéologique sous forme religieuse a pris fin depuis longtemps. La bourgeoisie révolutionnaire a définitivement mis un terme à l’emprise universelle de la conscience théologique par laquelle se maintenait la domination de l’aristocratie foncière. Est-ce pour autant à dire que l’aliénation idéologique a disparu d’Europe ? Tant s’en faut.

Nous examinons ici une situation vécue par l’auteur, lors d’un banal cours de “théories et modèles du développement”. Il y était présenté une thèse épistémologique ô combien courante non pas seulement dans le discours scientifique, mais jusque dans le discours dominant : la thèse qu’il n’existe pas de vérité absolue.

La bourgeoisie a bel et bien abattu cette conception qui veut qu’il existe une vérité absolue, immuable et éternelle, pour y substituer un point de vue relativiste, qui veut que toute vérité, toute compréhension rationnelle du réel par l’homme, soit inscrite dans un certain contexte historique et matériel. Combattre la vérité absolue que présentait la religion était nécessaire pour la bourgeoisie dans son combat pour renverser l’aristocratie féodale. La vérité religieuse, l’existence d’un être atemporel, éternel, créateur de toutes choses, en un mot: Dieu, était garante de l’ordre politique et moral imposé par le mode de production féodal. Passer à un mode de production capitaliste exigeait que l’on mette à bas cette vérité. De là pût naître le relativisme fécond qui nous poussa à envisager sous un nouveau jour notre rapport à la vérité.

Aujourd’hui la bourgeoisie maintient ses privilèges et sauvegarde l’ordre capitaliste à un prix toujours plus élevé. La révolte populaire des gilets jaunes et la répression toujours plus féroce qui l’accompagne sont les symptômes d’une décadence aggravée de cet ordre. La tentation la plus réactionnaire de la bourgeoisie pour maintenir son emprise serait un retour au cléricalisme, une réintroduction de la religiosité féodale voire pré-féodale au sein du monde capitaliste. Mais ce serait là revenir sur un progrès historique bien trop important : on a peine à imaginer que la France redevienne un Etat catholique avec à sa tête un monarque de droit divin.

Il faut alors observer la dégénérescence de l’ordre bourgeois précisément en ce qu’il a pu porter à un moment donné de progressiste, il faut voir en quoi se pervertit la conception relativiste de la connaissance.

Cette perversion passe par des discours du type de ceux que l’on rencontre dans les sciences sociales et dans leur sous-vulgarisation dans les discours politiques, philosophiques, etc. On dit qu’il n’y a pas de vérité absolue, et on croit en avoir dit là bien assez. Mais on oublie que l’on s’adresse à de jeunes esprits tout justes prêts à entrer dans l’arène des débats qui émaillent notre société. On oublie que la bourgeoisie régnante est entrée dans un phase profondément et irrémédiablement réactionnaire, qu’à ce titre elle a donc tout intérêt à combattre violemment le progrès scientifique en ce qu’il peut servir de base au progrès moral. Si les masses accèdent à une connaissance du réel émancipatrice, elles risquent fort de secouer les chaînes qui les maintiennent dans la servitude. Pour reprendre Gramsci : “Seule la vérité est révolutionnaire”. Et puisque la vérité est révolutionnaire, elle devient dangereuse pour la bourgeoisie.

Il n’y a qu’à voir combien un scientifique progressiste peut être conspué par l’idéologie dominante, en se remémorant le passage de Michel Clouscard à la télévision face à Jacques Séguéla, pour comprendre que si la science vient à voler au secours du progrès humain, la bourgeoisie n’hésitera pas à saper les fondements de la science elle-même.

Il s’agit donc pour elle de détruire ce qu’il y a de plus subversif et de plus progressiste dans les sciences sociales, et pour ce faire rien de plus efficace que de détruire l’idée même qu’il puisse exister une vérité venant de ces sciences. Ainsi, le relativisme actuel affirme : “Puisqu’il n’y a pas de vérité absolue, notre seule solution est de considérer que les résultats de nos recherches n’ont de validité que dans un certain champ. Il est donc inutile de mettre en contradiction les vérités valant dans leurs champs respectifs ; si notre voisin considère que les noirs ne sont pas des hommes à part entière, nous n’avons aucun droit à sortir de notre propre domaine de validité, de notre société, pour aller imposer une vérité absolue qui voudrait que tous les humains fussent fondamentalement égaux.”

Bien évidemment la phrase précédente est une caricature grossière, mais on rencontre dans le discours sociologisant de la bourgeoisie des âneries qui s’en rapprochent à un point assez effrayant.

Mais n’y a-t-il vraiment pas d’alternative réelle entre d’un côté le retour au fondamentalisme religieux et de l’autre ce relativisme naÏf qui conduit à penser que toutes les croyances se valent en tant qu’elles ont leur domaine de validité respectif ? Si, bien évidemment, il est possible de produire un discours qui remette à sa place le relativisme ambiant et réaffirme non pas l’existence d’une vérité absolue au sens religieux, mais bien l’existence d’une vérité en tant que telle, c’est-à-dire d’une connaissance du réel ayant dépassé l’ensemble des contradictions observées par celui qui la formule.

Soyons concrets, si l’on nous dit que notre voisin a le droit d’être raciste puisque c’est sa vérité, il nous appartient de montrer, preuves à l’appui, qu’il y a une contradiction fondamentale entre le racisme et la raison même, puisque celle-ci inclut la poursuite par l’homme de fins désirables et raisonnables. L’histoire a suffisamment démontré le caractère non seulement immoral, mais aussi antiscientifique du racisme pour que l’on ne s’attarde pas plus sur la question.

Nous pouvons dès lors affirmer qu’il existe une vérité “absolue” en tant qu’elle est un dépassement des vérités relatives entrant en contradiction les unes avec les autres. La contradiction dans les années trente et quarante entre la société raciste et la tendance des êtres humains à rechercher le bonheur n’a pu être résolue que par l’affirmation d’une vérité qui prévaut absolument sur toute conception raciste, qui est que l’espèce humaine ne se subdivise pas en races classables selon un degré de valeur.

A l’heure où les discours racistes refleurissent la bourgeoisie a tout intérêt à détruire l’idée qu’il puisse exister une vérité dans les sciences de la matière historique, qu’on appelle sciences humaines ou sociales. Face à une éventuelle vérité “absolue” enseignée par l’histoire, la bourgeoisie affirme deux choses : d’une part qu’il ne peut y avoir aucune prétention à la scientificité pour l’étude des questions sociales, du moins en dehors du discours dominant de la classe capitaliste. D’autre part il lui faut dire que la vérité scientifique, absolue au sens relativiste où nous la concevons, c’est-à-dire toujours discutable et transitoire mais toujours en progrès (donc réglée par un critère de vérité universel existant indépendamment de l’esprit humain), ne peut exister que dans les sciences de la nature. Il sera ainsi bien aisé de conclure qu’il existe objectivement des races humaines. Et puisque la science de l’histoire, la seule à même de fournir une base objective à nos jugements de valeur, sera nulle et non-avenue, il appartiendra à chaque société de classer ces races sur une échelle de valeur pour disposer des individus à son gré.

Notre texte partait d’un cas singulier et en apparence anodin d’une possible perversion idéologique d’un discours se voulant scientifique. Il nous a été possible d’élargir notre analyse à une critique de la fonction objective des discours naïvement relativistes qui pullulent aujourd’hui. Nous réaffirmons donc face à la doxa universitaire et médiatique qu’il existe une vérité, et en particulier dans les sciences sociales, et que celle-ci n’est pas réductible à une croyance localisée dans le temps et l’espace, qu’il suffirait pour réfuter d’affirmer qu’elle est localisée. Nous espérons ainsi que cette esquisse théorique serve au développement intellectuel des générations jeunes et moins jeunes en quête de sens - et de vérité - pour traverser collectivement la crise actuelle.

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