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JRCF

La Corée du Nord : dictature totalitaire ou eldorado socialiste ?

L’objectif de la série d’articles que nous allons publier dans les temps à venir n’est pas de retracer toute l’histoire de la Corée du Nord. Il ne s’agit pas non plus de défaire un à un tous les mensonges propagandistes ou toutes les bêtises naïves à l’encontre de ce pays. L’enjeu n’est pas non plus de montrer un « bon visage » de la Corée, et encore moins de prouver qu’il s’agit du socialisme accompli.

Il s’agit davantage de poser une question : quel regard portons nous sur la République populaire démocratique de Corée ? Ce questionnement est particulièrement pertinent lorsque l’on aborde des sujets brûlants tels que le socialisme ou la lutte anti-impérialiste (deux sujets intimement liés à la Corée).

Trop souvent, ce regard dépend davantage du fantasme, du conditionnement, et osons le dire, de la propagande, que de l’analyse concrète d’une situation concrète. Le cas coréen est caricatural de ce biais idéologique que subissent les expériences socialistes et les pays victimes de l’impérialisme. Si le discours que les communistes tiennent en défense de ces pays peut parfois paraître brut, c’est qu’il répond, avec une volonté de « tordre le bâton dans l’autre sens », à une vision dominante malhonnête, naïve et souvent fausse.

En plus d’être un adversaire stratégique et idéologique du mode de production capitaliste, ce pays est géographiquement, culturellement et historiquement éloigné de nous. La Corée du Nord avait tout pour être le « rogue state » parfait. Il s’agirait un pays étrange, replié sur lui même et dirigé par un dictateur fou et manipulateur. Sa folie sanguinaire pourrait nous plonger dans la guerre nucléaire à tout moment. Même si ils ne le savent pas, les Coréens sont dans l’attente d’un sauveur, car personne ne pourrait rationnellement aimer vivre dans ce pays, ou pire : en être fier !

Nous allons essayer de poser un regard différent sur la République populaire démocratique de Corée. Notre but va être de savoir ce qu’est la RPDC, de comprendre pourquoi est-elle ainsi, et de proposer quelques pistes quant à la posture pratique et théorique à adopter.

Nous souhaitons commencer cette série d’articles en abordant l’une des périodes historiques les plus décisives pour comprendre la situation actuelle. Celle-ci commence avec la libération de la péninsule et aboutit à la division coréenne. Sa connaissance est essentielle pour comprendre les différents développements politique, économique, idéologique et militaire vers lesquels vont s’orienter les deux Corée.

 

L’élan populaire de la libération.

En 1905, le Japon concrétise ses ambitions impériales sur la Corée en y établissant un protectorat. La sujétion coloniale est impitoyable, et la résistance à l’envahisseur cristallise la thématique de l’indépendance nationale comme étant la préoccupation majeure des Coréens durant les décennies à venir.

À la libération, le contexte national et international est très tendu. La question du sort réservé aux Japonais, aux élites collaboratrices et aux grands propriétaires terriens occupe l’esprit des masses laborieuses coréennes. À l’inverse, les élites engraissées durant l’occupation cherchent à maintenir leur domination malgré l’élan populaire qui suit l’indépendance de la Corée.
Pour des raisons géographiques et politiques, la Corée est également confrontée aux ambitions de grandes puissances. Il s’agit notamment d’un enjeu crucial pour la puissance étasunienne, mise en difficulté par une Asie s’orientant massivement (autant pour l’ampleur du phénomène que pour son caractère de masse) vers le socialisme.

Lorsque débute l’invasion soviétique de la Mandchourie, le 9 août 1945, l’administration coloniale japonaise délaisse la Corée. Les Coréens s’organisent dans des comités populaires et locaux. Ceux-ci, principalement composés de paysans (qui représentent la grande majorité du pays), ont été le théâtre d’une ébullition émancipatrice pour les masses, les femmes et les jeunes comme la Corée n’en avait jamais connu. Les comités avaient pour points communs de vouloir épurer l’administration des Japonais et des collaborateurs. La réforme agraire et la redistribution des terres des grands propriétaires terriens comptaient parmi les préoccupations essentielles. Les comités sont aussi largement en faveur d’une politique de nationalisation de l’industrie (celle-ci s’était développée durant le protectorat japonais).

La Corée des comités populaires demeurait cependant une Corée sous occupation. Au nord, l’Armée rouge avait pulvérisé les forces japonaises et forcé la capitulation prononcée par l’empereur Hirohito le 15 août 1945. Les armées soviétiques ne descendent cependant pas au-delà du 38e parallèle, limite fixée au préalable pour définir les zones d’influence soviétique et américaine. Cette limite n’avait alors pas vocation à devenir une frontière imperméable, et encore moins une ligne de front. Décidée par les Américains et acceptée par les Soviétiques sans consultation des Coréens, cette ligne est une construction fictive et arbitraire sans aucun rapport avec la réalité coréenne.

 

 

L'occupation soviétique de la Corée du Nord
L’Union soviétique et la Révolution d’Octobre ont été et demeurent d’immenses sources d’inspiration pour les luttes de libération nationale. Que cela soit au Burkina Faso, en Chine, au Vietnam, en Indonésie, à Cuba, ou ailleurs, socialisme et lutte anticoloniale ont été intimement liés au XXe siècle. Les résistants voulaient l’indépendance nationale contre les intérêts impériaux, ils voulaient la terre et le grain contre les intérêts des exploiteurs. Ces aspirations populaires ont été guidées par une dévotion et une organisation communistes. Le socialisme révolutionnaire s’est présenté comme la seule voie répondant aux aspirations des masses laborieuses face à un pouvoir illégitime et failli.

Les Coréens voulaient libérer leur nation opprimée depuis des centaines d’années par le jeu des grandes puissances et des seigneurs. Différents groupes de résistants coréens nationalistes ou communistes agissent dès les années 1920 en Chine. C’est après l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931, à laquelle s’opposeront plus de 200.000 guérilleros, que le jeune Kim Il-sung, membre du Parti communiste chinois, émerge en tant que grande figure. Dès les années 1930, il était un leader affirmé, considéré par les Japonais comme le résistant coréen le plus efficace et le plus dangereux. Sa figure est celle qui symbolise le mieux, aujourd’hui comme hier, la résistance coréenne.

Kim Il-sung et les résistants communistes coréens jouissaient d’une immense popularité pour leur contribution à la lutte. Grâce à leur sacrifice pour la Corée et à leur dévotion pour les masses, ils avaient réussi à implanter un esprit communiste au sein des ouvriers, des paysans, des jeunes, des étudiants, et parfois des intellectuels et écrivains coréens. Ils avaient beaucoup plus d’influence que les nationalistes conservateurs dont la base sociale était bien plus maigre. De plus, les ambitions des socialistes répondaient aux attentes des masses paysannes fatiguées de la domination des propriétaires terriens (nous parlerons dans un autre article de la réforme agraire en Corée du Nord). Le projet des socialistes avait toutes les chances d’être embrassé par le peuple coréen, et Kim Il-sung avait toutes les chances d’être élu lors d’éventuelles élections.

 

Kim Il-sung

Les Soviétiques connaissaient bien Kim Il-sung et ses camarades de l’Armée de guérilla populaire. Ils avaient soutenu, approuvé et observé la guérilla en Mandchourie. Ils le considéraient comme un homme fiable. La popularité du Parti du travail de Corée de Kim Il-sung a permis à l’occupant soviétique de laisser une importante marge de manœuvre à l’administration nord-coréenne épurée des collaborateurs pro-japonais. Révolutionnaires et patriotes, les communistes coréens ont coopéré avec les Chinois et les Soviétiques sans jamais abandonner la souveraineté coréenne. Ils ont tissé des alliances stratégiques mais ne se sont jamais inféodés. Kim Il-sung n’a pas été hissé comme figure la plus influente de la RPDC par la volonté soviétique. Les commandants de la guérilla en Mandchourie (comme Kim Chaek, Choe Hyon, Kim il, Choe Yong-gon) étaient parvenus à un accord pour qu’il soit au sommet de la hiérarchie en raison de ses qualités personnelles et de sa réputation. Les comités populaires et les institutions centralisées qui suivront ont pu s’administrer librement. Les troupes soviétiques ont quitté le territoire en décembre 1948, soit trois mois après la fondation de la République populaire démocratique de Corée. L’occupant soviétique n’a pas eu besoin d’imposer son modèle social. L’orientation socialiste fut l’œuvre des masses et du Parti du travail de Corée, à un moment où seuls les communistes proposaient l’indépendance, la terre, et le pain.

Ce prestige militaire et patriotique est essentiel pour comprendre la RPDC actuelle. Aujourd’hui encore, les nord-Coréens légitiment leur doctrine et leur commandement militaire par la résistance contre les Japonais et la revendication de la souveraineté coréenne. Certains membres du commandement nord-coréen actuel sont même directement issus de la résistance en Mandchourie.

 

L'occupation américaine de la Corée du Sud

Au sud du 38e parallèle, la situation est très différente. Pendant un temps, les comités populaires organisent la vie politique et doivent gérer les soldats et policiers japonais ayant fui et ravagé le nord après l’invasion soviétique. Là aussi, les communistes exercent une influence très importante. Mais ils ne faut pas croire que l’élan qui emportait les comités fut l’œuvre d’un parti autoritaire et totalitaire (ce qui servira pourtant de légitimation à l’autoritarisme américain et pro-américain). Par exemple, le Comité pour la préparation de l’indépendance populaire de la Corée, crée par Yo Un-hyung, planifiait la création d’un gouvernement de toute la Péninsule coréenne. Le 12 septembre 1945 est alors proclamée la République populaire de Corée (qui n’a dans les faits jamais eu de réelle autorité). Yo ne pouvait cependant pas être suspecté de communisme. Il a fait partie du Gouvernement provisoire de Corée (gouvernement en exil crée en 1919) des nationalistes anticommunistes Syngman Rhee et Kim Ku. Il a aussi travaillé avec Kim Kyu-sik, qui n’était pas moins à droite que les deux autres. Chrétien, il ne croyait absolument pas dans le marxisme et dans la dialectique matérialiste. Il était surtout un populiste de gauche, un très grand orateur, un tribun favori du peuple. Il avait même été contacté par les Japonais pour organiser une transition administrative qui éviterait un destin désastreux aux soldats, policiers et collaborateurs japonais émigrés au sud. Yo Un-hyung était donc très loin du communisme. Cela n’empêchera pas les forces américaines de nier totalement la souveraineté de l’éphémère République populaire de Corée.

 

Kim Ku
Yo Un-hyong

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'armée américaine, qui n’avait pas versé une goûte du sang pour la libération de la Corée, arrive le 8 septembre, trois semaines après la capitulation japonaise, là où les forces soviétiques étaient présentes depuis 1 mois. Les Américains ne reconnaissent pas la légitimité de la République populaire de Corée de Yo Un-hyung (pourtant loin d’être une incarnation du bolchévisme), des comités populaires suspectés de communisme, ou encore du gouvernement provisoire de la République de Corée (à ne pas confondre avec l’éphémère République populaire de Corée vue précédemment) dirigé le nationaliste anticommuniste Kim Ku.

Yo Un-hyung sera assassiné par un exilé anticommuniste nord-coréen, et Kim Ku sera assassiné par la police secrète sud-coréenne pour son engagement en faveur de la réunification. L’impossible unité entre les deux Corée n’est donc pas une affaire de gauche ou de droite. Les patriotes coréens ont toujours été la cible des impérialistes. Le fait est que l’union coréenne ne pouvait être réalisée que par les masses. À l’inverse, les élites ne pouvaient se maintenir au pouvoir qu’en bénéficiant du soutien américain. Mais comme dans toute l’Asie, l’intérêt et la volonté des masses étaient absolument contradictoires avec les intérêts américains. Les États-Unis, contrairement aux Soviétiques, vont alors devoir imposer leur ordre économique et social par la force.

Le 8 septembre 1945, les Américains installent un régime d’occupation militaire similaire à celui qu’ils projetaient d’installer en France : l’United States Armed Military Government in Korea (USAMGIK). Leur dessein, résumé très brièvement, était de pardonner les Japonais pour faciliter la réintégration du capitalisme dans un Japon dévasté sous occupation américaine et susceptible de s’orienter vers le socialisme. La Corée devait alors servir d’appui pour influencer et industrialiser le Japon. Ils désiraient aussi s’assurer une voie d’accès vers la Chine, la Russie et la Corée du Nord pour contenir la propagation du socialisme et « protéger » le Pacifique. Le sud de la Corée avait donc un rôle stratégique très important.

Soldats américains dans Séoul en 1945

Les 4 grandes priorités américaines étaient de créer une armée pour « défendre » le 38e parallèle ; de faire de la police nationale coréenne la première arme pour « pacifier le sud » ; de solidifier les alliances avec les partis conservateurs ; et de supprimer les contestations politiques. Ainsi, les Américains ont choisi d’accorder les hautes fonctions administratives, policières et militaires aux collaborateurs pro-japonais.

Ce gouvernement n’avait aucune légitimité aux yeux des masses coréennes et suscita un vent de révolte durement réprimé. Les Coréens n’avaient jamais eu de sympathie particulière pour les Américains et les valeurs des « démocraties » libérales occidentales. La plupart des villageois coréens n’avaient jamais vu un Américain, qui n’avaient de liens qu’avec les élites. Très attachés à leurs traditions, les Coréens ont, plus que d’autres peuples asiatiques, souvent fait preuve d’une grande résistance face aux armées et aux éléments culturels impérialistes. Ils ne supportaient pas d’être à nouveau sous occupation et de voir les élites les opprimer encore, alors que 70 % des Coréens du Sud se prononçaient pour le socialisme.

Les Américains et les conservateurs coréens ne pouvaient pas imiter les Soviétiques et les communistes coréens dont l’autorité reposait sur la légitimité et les faveurs populaires. Ils ont dû faire preuve d’un autoritarisme sanglant, menant à la chasse systématique des suspectés de communisme et au massacre de centaines de milliers de Coréens (nous aborderons les questions de répression dans un autre épisode). Toute résistance ou critique du gouvernement militaire pouvait être considérée comme une tendance pro-soviétique. Ainsi, vouloir expulser les propriétaires terriens ou expulser les collaborateurs constituait une marque de bolchévisme. Le principal problème des Américains n’était cependant pas les bolchéviques, mais bien les Coréens eux mêmes… Dans toute l’Asie, le rapport de force populaire leur était très défavorable. Si ni les Russes et ni les Américains n’avaient été en Corée, le régime aurait très sûrement été un régime révolutionnaire et patriotique qui aurait pu avoir un destin d’intégration internationale comme la Chine ou le Vietnam. La seule issue possible pour les intérêts américains était l’instauration d’un gouvernement autoritaire et le maintien d’une présence militaire qui dure encore aujourd’hui. Quitter la péninsule aurait signifié laisser un pays de plus se faire aspirer par la vague socialiste.

 

La division de la Corée : une œuvre impérialiste

En décembre 1945, les Alliés s’étaient accordés pour que la Chine, l’URSS, la Grande-Bretagne et les États-Unis administrent la Corée pendant cinq années jusqu’à l’indépendance. Mais face à l’impossibilité d’obtenir une union gouvernementale conforme à leurs intérêts, les États-Unis ont demandé en 1947 à ce que la question de l’indépendance coréenne soit portée devant l’Organisation des Nations unies. L’ONU est à cette époque dominée par des puissances pro-américaines et défavorables à l’URSS. Elle autorisera par la suite l’intervention américaine dans la Guerre de Corée qui mènera au massacre de millions de Coréens. Sans demander l’avis des Coréens, l’ONU vote une résolution pour organiser des élections sous sa supervision dans toute la Corée. Les Soviétiques, qui comprennent bien qu’un organe de l’ONU ne pourra que leur être défavorable, boycottent le vote de la résolution (la fameuse politique de la chaise vide). L’ONU vote alors pour l'organisation d'élections dans la seule Corée du Sud, provoquant l’indignation des patriotes coréens de gauche comme de droite qui désiraient l’unification de la Corée et qui refusent de participer à ces élections.

L’organe en charge de surveiller les élections, la Commission Temporaire des Nations-unies pour la Corée, n’est pas reconnu par les Soviétiques et les Coréens du Nord. La commission est majoritairement composée d’alliés américains. Malgré tout, les délégués d’Australie, du Canada, d’Inde et de Syrie font entendre une voie dissidente. Ils constatent que les organisateurs des élections sont en majorité du Parti démocratique de Corée (parti conservateur anticommuniste proche des occupants américains et des élites) ou de proches associés de son leader Kim Song-su. Ils se plaignent de l’intimidation et du lobbying que le brigadier général John Weckerling infligeait aux délégués de l’ONU. Ils font alors part de leurs doutes concernant la possibilité d’organiser des élections en Corée du Sud dans un tel climat. Malgré les avertissements, les élections auront lieu dans un contexte de fraude, de répression, de boycott de l’opposition, et d’insatiable soif d’indépendance des Coréens.

Ces élections suscitent l’indignation en Corée du Nord et en Corée du Sud. Des personnalités conservatrice du sud comme Kim Ku ou Kim Kyu-sik protestent contre leur tenue, et se réunissent à Pyongyang sur invitation de Kim Il-sung. Les contestations populaires sont vives. Les habitants de l’île de Jeju, au sud, se soulèvent et subissent la répression de l’armée sud-coréenne qui fera plusieurs dizaines de milliers de morts, soit plus d’un dixième de la population sur cette île de 300.000 habitants, détruisant de nombreux villages et suscitant de nombreuses mutineries.

Répression du soulèvement de Jeju

Pour préserver leurs intérêts et leur emprise après « l’indépendance », les Américains ont trouvé l’homme parfait : Syngman Rhee.

Anticommuniste convaincu, chrétien, imprégné d’idéologie américaine, il a émigré aux États-Unis en 1904, avant que la Corée ne devienne un protectorat japonais. Rhee n’avait pas remis un pied en Corée avant d’y revenir à bord d’un avion militaire américain en octobre 1945. Il faisait partie de ces résistants gentlemen qui tentaient d’obtenir un soutien diplomatique auprès de grandes puissances. Pendant que Kim Il-sung prenait les armes, Rhee arpentait les rues de Washington pour tenter de monter les puissances impérialistes les unes contre les autres. Si les revendications d’indépendance coréenne n’intéressaient pas vraiment les Américains avant 1945, Rhee devient soudainement l’homme de la situation. Par rapport aux autres anticommunistes, il présente plusieurs avantages : il n’est pas véritablement un traître car il n’a jamais collaboré avec les Japonais, il maîtrise parfaitement le coréen et l’anglais, et surtout, il réclame l’indépendance sans cesse et sous n’importe quelle condition. Syngman Rhee, qui était contre toute union avec les communistes et contre toute discussion avec les Soviétiques, était la façade coréenne indépendantiste parfaite pour servir les intérêt américains, à l’inverse d’anticommunistes conservateurs un peu trop attachés à l’union nationale comme Kim Ku ou Kim Kyu-sik.

 

Discours de Syngman Rhee avec le général Hodge
Syngman Rhee

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’issue des frauduleuses élections pour l’Assemblée constitutionnelle de Corée du sud qui ont lieu le 10 mai 1948, le parti de Syngman Rhee obtient 55 des 200 sièges. Il est soutenu par Kim Song-su et le Parti démocratique de Corée qui obtient 29 sièges. 85 indépendants dont la majeure partie sont affiliés à Syngman Rhee sont également élus. La quasi totalité des opposants avaient boycotté ces élections. Par la suite, l’élection présidentielle indirecte aboutit à la victoire de Syngman Rhee le 20 juin 1948.

La première République de Corée est proclamée le 15 août 1948. Elle se prétend souveraine sur l’ensemble de la péninsule coréenne. Trois semaines plus tard, au nord du 38e parallèle, la République populaire démocratique de Corée est proclamée. La voie vers la catastrophique Guerre de Corée était ouverte.

Syngman Rhee va rapidement montrer son vrai visage. Il récupère le système politique établi dès les premiers mois de l’occupation américaine et offre les hautes fonctions à des collaborateurs pro-japonais. Dans les forces de polices, 85 % des policiers ayant servi durant l’occupation japonaise ont été réintégrés dans la nouvelle police nationale. Plus de 50 % des policiers sud-coréens ont alors collaboré avec l’envahisseur japonais. C’est cette police qui matera dans le sang les nombreux mouvements de résistance populaire que va connaître le pays. Son gouvernement autoritaire et impopulaire causera, avec le soutien des Américains, la mort de centaines de milliers d’opposants.

L’histoire de la Corée du Sud est marquée par une caste dirigeante traîtresse. Tous les dirigeants sud-coréens d'avant 1993 étaient issus de l'armée, tenaient le pays d'une main de fer, et faisaient souvent preuve d'une grande tendresse envers les anciens collaborateurs. On peut citer le cas de Kim Suk-won, haut-gradé de l’armée impériale japonaise. Il a servi dans l’invasion de la Mandchourie par le Japon et dans la seconde guerre sino-japonaise. Sous la première république de Corée, il devient général de brigade, et Rhee souhaitait le nommer commandant de l’armée sud-coréenne. Un buste de bronze lui a été dressé en 1978 dans l’académie militaire de Seongnam.
Yi Un, « empereur » coréen, qui avait servi dans l’armée japonaise en tant que lieutenant-général, retournera en Corée du sud en 1963 pour y terminer sa vie dans un palace.
Le dictateur Park Chong-hee, amateur de l’idéologie guerrière des fascistes japonais (le bushido), a rejoint l’armée impériale sous un nom japonais. Il a été officier dans l’armée sud-coréenne à partir de 1946. Il renverse le gouvernement en 1961 et restera au pouvoir jusqu’en 1979.
Sa fille Park Geun-hye fut présidente de 2013 à 2017 avant d’être chassée du pouvoir pour avoir confié des informations confidentielles à son influente confidente, la chamane Choi Soon-sil (dont le père conseillait le dictateur Park Chung-hee!).
Kang Young-Hoon, vétéran de l’armée japonaise et du gouvernement militaire américain, a été le premier ministre de Roh Tae-woo…

 

Rivalité et rigidification.

Les figures politiques coréennes se détestaient au moins autant qu’elles détestaient les japonais, et cela a eu un effet certain sur l’impossibilité d’unifier la Corée. Mais la division est avant tout la conséquence de l’intervention logique d’un impérialisme protégeant ses intérêts dans la région. De cette séparation découlent deux états aux cultures politiques très différentes. L’idéologie nord-coréenne met en avant une immense légitimité historique et le sentiment de porter les intérêts  d'un peuple divisé par l'intervention militaire étrangère. Les guerres, les menaces diplomatiques et les difficultés économiques n’ont fait qu’accentuer ce phénomène.

Ainsi, l’État nord-coréen et ses ressortissants font preuve d’un intense patriotisme. Ils sont extrêmement attachés à leur histoire, à leur culture, à leurs héros et à leurs symboles. Leur système politique est directement hérité de cette période, l’armée et ses valeurs y trouvent une place essentielle. Ce sentiment patriotique est encore plus exacerbé qu’il se construit contre les valeurs portées par l’Empire américain et la "soumission traîtresse" de l’État du sud. L’idéologie officielle du parti, le Juche, fait la synthèse entre un patriotisme exacerbé, une obsession de la souveraineté et de l’autonomie, un immense respect des ancêtres hérité du confucianisme et un héritage révolutionnaire socialiste. C’est l’idéologie d’une nation née dans la guerre et qui s’est considérée en guerre totale durant toute son existence. La nation coréenne se considère comme un tout uni par la résistance passée et présente, et chaque Coréen se doit de participer à l’effort de guerre.
 

Les cérémonies officielles devant les statues de Kim Il-sung et de son fils Kim Jong-il représentent bien le culte de la personnalité et des ancêtres, l'attachement à l'histoire, le patriotisme exacerbé, et la place centrale de l'armée dans la RPDC.

Il n’est pas absurde de penser que cette idéologie, qui se manifeste concrètement dans la structure politique et organisationnelle du pays, fut l’une des raisons pour lesquelles le système nord-coréen, malgré sa marginalité et son isolement, a survécu et ne semble pas près de s’effondrer.

Nous devons nous garder de tout idéalisme et ne pas essentialiser la situation actuelle dans la volonté de dictateurs "staliniens". L’État nord-coréen et son idéologie sont la réponse logique à un contexte menaçant. De là découle un développement autoritaire et liberticide (mais parfois nécessaire) dont les contradictions ne sont pas sans générer de graves dérives...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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