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Sur "Staline" de Domenico Losurdo

Sur Staline de Domenico Losurdo


Devenu quasiment introuvable aujourd’hui, le livre Staline de Domenico Losurdo est un véritable ouvrage méritant d’être réédité au vu des apports qu’il fait à l’histoire d’un des dirigeants les plus importants du vingtième siècle.

Sa méthodologie est simple et efficace : faire parler des sources différentes afin de parvenir à la vérité. On cherchera en vain des sources purement favorables à Staline. La grande majorité des sources (98%) proviennent soit du mouvement trotskiste ou d’auteurs réactionnaires et peu engagés en faveur de l’Union soviétique. Il manie aussi un outil assez peu fréquemment utilisé dans la recherche historique (sur le communisme et le fascisme) : la comparaison avec l’occident, un crime de lèse-majesté ! Se voulant ouvrage de synthèse, l’ouvrage reprend point par point chacun des aspects de la légende noire de Staline : le rapport Khroutchev, sa prétendue inefficacité en temps de guerre, son antisémitisme, les grandes purges, le goulag, l’holodomor1, le pacte de non-agression germano-soviétique, le concept de totalitarisme, le culte de la personnalité, etc.

Il serait assez difficile de résumer amplement le travail qui est fait, pourtant nécessaire au vu de la masse d’historiographie plus ou moins partial sur l’un des plus grands dirigeants du vingtième siècle, dont on sert de la figure noire pour criminaliser le mouvement communiste dans son entier, comme avec cette résolution du 19 septembre 2019 du Parlement européen, criminalisant les symboles « totalitaires » (sic). Au moins intéressons-nous à trois éléments de sa légende noire : la question de l’antisémitisme, les Grandes Purges et le goulag.

L’antisémitisme de Staline, c’est une accusation portée par Trotski et qui a perduré après la seconde guerre mondiale2. A l’heure actuelle, elle perdure encore. Pourtant, Joseph Staline, contrairement à d’autres dirigeants comme Winston Churchill, a dénoncé pendant toute sa vie politique l’antisémitisme (et les pogroms qui vont avec) comme un acte de cannibalisme, et les actes antisémites étaient punis par la loi, tandis que de nombreuses personnalités d’origine juive faisait partie de l’entourage de Staline3. On comprend encore moins pourquoi il fut au départ un fervent défenseur de la création de l’État d’Israël4, juste avant de s’y opposer face au parti pro-américain du sionisme5.

Ce qui pose le plus souci à Losurdo – et qui est rappelé dans sa biographie -, c’est que si Staline était antisémite, on comprend mal pourquoi une telle dénonciation de la révolution judéo-bolchevik par les gouvernements occidentaux (dont anglais et américains) au sujet du régime créé après octobre 1917, ni pourquoi les nazis avaient une telle hargne contre les communistes et les Russes, déclarés comme étant aux mains des juifs et obéissant à un Staline manipulé par les juifs, si le dirigeant de ce pays était si antisémite que cela ! D’autant que cette accusation d’antisémitisme envers Staline vise surtout à faire oublier la tolérance d’hommes d’État « respectés » par la presse occidentale, comme Théodore Roosevelt, pour les thèses du penseur racialiste Chamberlain (auteur de Les fondements du XIX siècle) !

Au sujet des purges, Domenico Losurdo ne nie pas leur caractère violent. Il revient toutefois sur les raisons plausibles pour les dirigeants soviétiques d’avoir peur. En premier, lieu il ne faudrait pas oublier l’encerclement par des pays ennemis ainsi que la montée du fascisme, en particulier du nazisme ayant bien spécifié son envie d’en découdre avec l’URSS. Face à cela, nous avions un militaire, Toukhatchevski, dont on connaissait le comportement un brin bonapartiste, dont les services secrets étrangers (véritable information ? Propagande allemande ? Le livre ne répond pas) disaient qu’il avait pris contact avec Hitler, justifiant ainsi une purge de l’armée rouge6. Puis à cela, nous avions des membres du Parti communiste souhaitant depuis quelques années renverser Staline, quitte à utiliser des moyens violents, comme on peut le voir avec les appels au terrorisme contre la bureaucratie stalinienne émis par Léon Trotski. Il est intéressant d’ailleurs de lire les passages sur l’assassinat de Kirov dont la dénonciation comme complot stalinien n’est que tardive, Trotski justifiant plutôt son meurtre comme la juste rébellion de la jeunesse contre la bureaucratie stalinienne7. Losurdo théorise l’idée que les purges ne sont que le résultat d’une troisième « période de désordre », interne aux communistes, latente après la mort de Lénine et la déception des idéaux révolutionnaires de départ8.

Terminons par le fameux goulag. L’auteur rappelle que le goulag était originellement un lieu de rééducation, non un endroit où l’on procédait à une extermination de masse comme les camps de la mort. Ainsi, il y avait bien souvent une riche activité culturelle dans les goulags, les tentatives de « rééduquer » les prisonniers étaient réelles. Il n’était même pas rare que les gardiens appellent les prisonniers « camarade ». Il serait toutefois faux de dire qu’il n’y a eu ni violence ni situation horrible9. D’autant plus que l’atmosphère se tendait avec les Grandes Purges, le prisonnier du goulag étant toujours un saboteur potentiel. Contrairement aux camps nazis, il s’agissait d’une situation d’exception, sans volonté d’élimination. En plus de cela, Losurdo commet un crime de lèse-majesté en osant faire une chose que tout historien occidental redoute, à savoir faire la comparaison avec l’Occident. Car, à s’y méprendre, si on compare les camps servant aux États-Unis à enfermer la population japonaise après Pearl Harbor, les camps où l’on enfermait les allemands après la victoire sur le Troisième Reich et les camps des colonies, on trouve bien plus de comparaisons avec les camps nazis, que ce soit en termes de mauvais traitements infligés, de manque de considération envers les « races inférieurs », voire de franc massacre10. Ce n’est pas pour rien que Hitler se reconnaissait bien plus volontiers dans le système néocolonial que dans autre. Comparaison, n’est pas raison, mais il a le mérite de montrer que les rapprochements entre Staline et Hitler – à ce sujet et sur d’autres - sont d’une particulière malhonnêteté11.

Alors que le Parlement européen tente de criminaliser les symboles communistes au nom de l’antitotalitarisme, qu’on poursuit les communistes polonais, que les anciens nazis sont célébrés comme des résistants dans les États Baltes, que l’Ukraine s’engouffre dans une guerre civile permanente avec la présence de nombreux fascistes du côté de Kiev, que la Bolivie est aux mains d’un pouvoir putschiste raciste et fasciste, nous devons nous réapproprier notre histoire, de manière critique, afin que renaisse un vaste mouvement communiste.

 

1 Chapitre 5.4. : L’holocauste ukrainien comme pendant de l’holocauste juif ?

2 Chapitre 5.8 : Trotski et l’accusation d’antisémitisme tsariste et nazi.

3 Chapitre 5.9 : Staline et la condamnation de l’antisémitisme tsariste et nazi.

4 Chapitre 5.10 : Staline et le soutien à la fondation et à la consolidation d’Israël.

5 Chapitre 5.12 : Staline, Israël et les communautés juives de l’Europe orientale.

6 Chapitre 2.11 : Entre « renversement bonapartiste », « coups d’Etat » et désinformation : le cas Toukhatchevski.

7 Chapitre 2.6 : L’assassinat de Kirov : complot du pouvoir ou terrorisme ?

8 Chapitre 3 et 4 du livre.

9 Chapitre 4.5 : Un univers concentrationnaire riche de contradictions.

10 Chapitre 4.8 : Goulag, Konzentrationslager et Tiers absent.

11 Chapitre 8 de l’ouvrage.

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